Quadriques Architecturales (V.a)...

Cylindres

On pense sans doute immédiatement aux tours de châteaux-forts... De tels exemples ne manquent pas, mais il y a, en cherchant un peu, plus original... et surtout, plus ancien!


modèles x²/ + y²/a² = 1 (de révolution), x²/ + y²/b² = 1 (elliptique), y - x² = 0 (parabolique)

Les Colonnades à Génératrices Verticales:

La plus ancienne est peut-être... oui, bien sûr, vous l'avez reconnue: Stonehenge! Les colonnes sont un peu sommaires, certes, mais le plan circulaire au sol )est indiscutable, de même que la volonté de dresser les pierres à la verticale. Le cylindre est donc né ici, il y a plus d'un millénaire, et peut-être jusqu'à trois!



clichés du Mathouriste
plan, source: Wikipedia


Les temples à colonnes  font apercevoir de manière naturelle les génératrices d'une implantation cylindrique, ainsi la fameuse tholos de Delphes (Grèce): le cylindre est de révolution.



Ce n'était pas un cas isolé dans le monde Grec; le temple d'Aphrodite à Cnide (Asie Mineure, aujourd'hui Turquie) avait une forme similaire, mais aucune colonne n'a été redressée sur le site. (Voir notre page: Eudoxe à Cnide)

Cet exemple a, bien sûr, inspiré les Romains, avec trois réalisations importantes dans leur capitale



Rome: Temple B du Largo di Torre Argentina, Temple de Vesta (Forum), Temple d'Hercule Victor (Forum Boarium)

Le temple de Vesta est le plus ancien (IIIème siècle avant J.C.); les deux autres datent de la fin du IIème siècle avant J.C. Sa forme circulaire serait, selon Ovide, une référence à celle de la Terre. 

La Renaissance prône un retour à l'Antiquité: son acte fondateur en architecture, le Tempietto de Bramente, reprend en 1502 cette forme avec une légèreté remarquable. (Il est, malheureusement, "encastré" dans une cour sans recul de l'église San Pietro in Montorio,  qui en étouffe partiellement l'élégance)

Le Tempietto;  croquis par un autre maître de la Renaissance, Palladio


Mais il est plus extraordinaire d'avoir... un cylindre elliptique! Datant du Ier ou IIème siècle de notre ère, le forum de Jerash s'impose à la fois, dans la partie Moyen-Orientale de l'Empire Romain,.comme le plus grand jamais construit et l'exemple unique d'un plan à coup sûr ovale, et réputé elliptique.

Forum elliptique de Jerash (Jordanie)

Il serait très intéressant de disposer d'un plan précis du site, afin d'étudier l'adéquation du modèle elliptique à cet ovale... Les mots sont souvent mis l'un pour l'autre dans les guides touristiques, voire les ouvrages d'architecture; et nous navons pas fini de nous interroger au fil des monuments rencontrés, car, on le découvrira un peu plus loin, le statut géométrique est moins facile à trancher qu'on pourrait le croire au premier abord.

Vers 1660, Bernini adopte l'idée d'une place elliptique à colonnade pour Saint-Pierre de Rome.

Vue "classique" depuis le dôme de Saint-Pierre gravure de Piranesi (1748)

L'ellipse (grand axe a = 320m, petit axe b = 240m pour la plus grande, soit la colonnade extérieure) parait, cette fois, revendiquée, puisque Bernini est réputé avoir placé les fontaines aux foyers; précisons que l'une des deux existait...il organisa donc son ellpse en fonction de ce foyer, et fit compléter ultérieurement par une autre fontaine au deuxième foyer. De fait, une mesure sommaire (forcément) à partir de  la version aggrandie de l'image ci-dessous s'avère cohérente: l'excentricité calculée est exactement e = c/a = 0,5; c, distance  du centre au foyer, est calculé par c² = a² - b².
Or, les fontaines se trouvent à mi-distance de la colonnade externe et de l'obélisque centrale.


Image aérienne empruntée au site www.saintpetersbasilica.org

Un point supplémentaire mérite l'attention... et, sans aucun doute, l'approfondissement. Deux plaques au sol, placées sur le grand axe et symétriquement par rapport à l'obélisque, indiquent le centre de chaque colonnade, point, supposé visuellement optimal, d'où l'espacement des colonnes est régulier et où les 4 rangées se confondent en une seule.

Le cliché central est emprunté au site www.saintpetersbasilica.org

SI la colonnade est alors vue comme un cercle -ce que laisse clairement supposer le mot de centre... le choix optimal de placement pour la plaque est au centre de courbure à l'extrémité du grand axe: le cercle de courbure est le cercle le plus proche de l'ellipse que l'on puisse trouver. Son rayon est facile à trouver , du moins pour qui sait un an de Maths après le bac: il vaut b²/a = 180m. Ce qui situe la plaque à 20m de la fontaine...
Or, il semble assez facile de l'estimer. L'endroit se repère du haut de la coupole, parce qu'il y a toujours un petit agrégat de touristes qui "testent" la propriété. La hauteur de la colonne (25,3m) donne l'échelle et le plan de l'obélisque et du grand axe est frontal, ce qui minimise la distorsion due à la photo: peut-on demander mieux? Imprimez les photos, faites le test et vous verrez que cela ne tombe pas bien loin! (Compte tenu de la rusticité de la méthode, trouver le résultat à 1m près nous semble évidemment tout à fait satisfaisant...)


Les Murs cylindriques:

Des temples cylindriques en brique ont aussi été construits à Rome dès la période antique; ce sont des cylindres de révolution. Ils ont systématiquement été reconvertis en églises chrétiennes.

Temple de Romulus (Forum), Église San Teodoro, Panthéon

Ils sont tous postérieurs à la naissance du Christ: le soi-disant "temple de Romulus" (il était en fait dédié au fils de Maxence, mort en 307) date du IVème siècle , San Teodoro du VIème siècle, et le Panthéon du IIème siècle (sous sa forme actuelle, des incendies ayant ravagé les versions précédentes)
La greffe du pronaos rectangulaire et le manque total de recul et de dégagement confèrent au Panthéon, vu de l'extérieur, une lourdeur peu commune. La magie ne fonctionne qu'à l'intérieur... on en reparlera plus loin dans ces pages!

La forme n'est pas (tout à fait) oubliée au Moyen-Âge; ainsi, l'église du Saint-Sépulcre de Cambridge, deuxième bâtiment le plus ancien de la ville (1130), l'a héritée, dit-on, de son homonyme de Jérusalem, qui a conservé, à travers une histoire particulièrement mouvementée en destructions et reconstructions, une rotonde édifiée sous Constantin, en 350. Il fut même une époque où elle était dépouillée de tout cône!



église du Saint Sépulcre, état actuel (Cambridge, Angleterre)
en 1809, source: Wikipedia anglais

L'architecture contemporaine redonne ses titres de noblesse à cette forme ancestrale; ci-dessous, à Yvetot (Seine Maritime), dont l'église est un cylindre de 40m de diamètre, à campanile séparé. Conçue en 1949 par l'architecte Pierre Chirol, assisté de Robert Flavigny et Yves Marchand, elle succède en 1956 à l'ancienne église, détruite lors de l'avancée allemande de juin 1940.



église d'Yvetot, extérieur...
... et intérieur, avec le plus grand vitrail d'Europe: plus de 1000m²!

Mais, rareté, il esiste un monument on ne peut plus laïc qui rentre dans la même catégorie... et célébré, ô combien littérairement!
"Bénin, Broudier, Lesueur ne mirent qu’une quinzaine de minutes à réaliser les vues de l’agent. Il n’était pas loin de minuit quand ils lurent sur le pan d’une maison : « Place de l’Hôtel-de-Ville ». Ils découvrirent alors un monument étrange, une sorte de grosse rotonde, dont la rotonde du Parc Monceau n’eût été que le poussin.
— Quoi ! dit Broudier, serait-ce la mairie d’Ambert ?
Ils se turent. Ils contemplaient avec émotion ce monument d’orgueil.
— Mais, dit Lesueur, d’une voix mal assurée, où est le milieu de la façade ?
Personne d’abord n’osa répondre. Broudier dit enfin :
— La mairie d’Ambert est une mairie dont la façade est partout, mais le milieu nulle part. Ils méditèrent dans l’ombre. Lesueur dit :
— Qu’allons-nous faire ?
— Je n’aperçois qu’une solution, dit Bénin. Nous allons tourner l’un derrière l’autre autour de la mairie d’Ambert. Nous tournerons d’un mouvement régulier. De la sorte nous passerons nécessairement devant le milieu de la façade de la mairie d’Ambert, si ce point existe ; ou si, comme je pense, ce point n’existe pas dans le réel, s’il n’est qu’une pure conception de l’esprit, si, pour mieux parler, il s’agit d’un lieu géométrique, nous le décrirons en entier, et nous serons ainsi fidèles à notre rendez-vous.

C’était sans réplique."

Jules Romains, Les Copains (ch. IV)

(source Wikipedia)

Le "Problème" des Amphithéâtres
Le cylindre elliptique (ou couramment supposé tel) le plus photographié au monde: le Colisée. En fait, la structure fait apparaître plusieurs cylindres concentriques, et plus précisément parallèles (pour le dire simplement, la largeur du couloir entre deux murs est constante prendant qu'on fait le tour de l'édifice). Ce qui va engendrer un problème géométrique inattendu...

les ovales concentriques
plan affiché sur le site

La forme elliptique s'appréhende bien mieux -du moins, pour le visiteur qui n'y arrive pas en hélicoptère) de l'intérieur! L'arène proprement dite, c'est à dire l'espace dévolu aux combats ou autre spectacles (le piste, dirait-on dans un cirque) a un grand axe de 83m; le petit axe mesure 48m.

le Colisée (ou Amphitéaâtre Flavien), vu de l'intérieur

Pour des photos plus "jolies" du monument, rien ne vaut la nuit... vous en trouverez sur la page Colisée de Wikipedia.
Alors, où est le problème? Dans l'alternative suivante:
  • ou bien l'arène est elliptique, et les murs des enceintes successives sont parallèles, au sens que nous avons donné à ce mot, mais ni  l'enveloppe extérieure, ni les enveloppes intermédiaires ne peuvent être elliptiques;
  • ou bien (ceci n'est qu'une légère variante), le paralléleslisme des enceintes successives étant conservé, l'enveloppe extérieure est elliptique, mais alors c'est l'arène qui ne l'est pas;
  • ou bien tous les cylindres sont elliptiques, mais alors le parallélisme est iùpossible; autrement dit, la largeur d'un couloir varie quand on fait le tour!

Pour mieux le comprendre, regardons de plus près un amphithéâtre de taille certes plus modeste, mais d'une esthétique incomparable, celui d'El-Jem, en Tunisie (image ci-contre).

Le Colisée écrase le visiteur, quand El-Jem le séduit: la qualité de la pierre y est pour beaucoup (contre les lugubres briques de mauvaise qualité qui, à li'ntérieur, forment l'essentiel de ce qu'on voit à Rome). Mais il y a aussi la meilleure conservation des gradins, etcette derniçre va  être bien utile à notre raisonnementt!

Mais commençons par observer l'ensemble arène/gradins...







Les photos ne laissent aucun doute: autour de l'arène, espaces de circulation et bancs dessinent en plan des courbes parallèles, au sens que nous avons donné à ce mot. Ou encore: une règle de la largeur de l'assassise se déplace perpendiculairement au dossier et au rebord "des genoux" sans jamais dépasser ni se révéler trop courte.

Si l'on regarde le plan ci-contre (c'est celui qui est présenté sur le site), tous les ovales doivent être parallèles. Le Mathouriste a recolorié en rouge l'arène, en vert et jaune deux ovales qui leur sont parallèles -le jaune est l'ovale extérieur de l'amphithéâtre. Un petit calcul (niveau Bac+1 quand-même) montre que

les courbes parallèles à une ellipse, intérieurement ou extérieurement, ne sont jamais des ellipses, mais des ovales dont l'équation algébrique est de degré 8, obtenue par Cayley en 1844.
 
lI y a donc au plus une ellipse sur cette figure... et peut-être aucune!

 . 

Une solution devenue courante au fil du temps est de commettre une petite tricherie: remplacer l'ellipse par une succession d'arcs de cercles tangents. Il y a beaucoup de manières de le faire; on a explicité ci-contre l'une des plus simples, construite sur deux triangles équilatéraux (en noir). Un des deux sommets communs aux triangles sert de centre au petit cercle (rayon rouge), le grand cercle (vert) étant centré au troisième sommet. Cet ovale est donc judicieusement dénommé quadrarc.

C'est l'une des constructions proposées en 1537 par l'architecte  Sebastiano Serlio (1475-1554) dans le premier livre de son monumental Traité d'Architecture, que l'on peut consulter en ligne. Lui-même propose d'autres variantes, comme on le voit ci-dessous.






Intuitivement, on pourrait s'attendre à ce qu'il soit facile de trancher entre ellipse et quadrarcs (ou, plus généralement, toute autre approxilation), compte tenu de la grande dimension des figures sur le terrain. Mais surprise, il n'en est rien: divers auteurs ont argumenté le pour et le contre; ils sont loin d'être unanimes... et se partagent assez équitablement entre tenants de l'ellipse et du "quadrarcs". Le Mathouriste  a trouvé pour vous un article récent de Paul Rosin (Cardiff School of Computer Science) et Emanuele Trucco (Université d'Édimbourg), lui paraissant digne d'intérêt, et qui, après une étude statistique opérée sur des données précises relevées au  Colisée, conclut à une lutte serrée, mais avec un petit avantage à l'ellipse!

Cet autre article évoque le cas de la Place Saint-Pierre. Là aussi, une construction par cercles aurait bien soulagé Bernini pour qu'on ne voie qu'une colonnade au lieu de quatre en se positionnant sur les fameuses plaques de marbre...



Bien entendu, la question serait tout aussi pertinente pour le forum de Jerash: la base de ce cylindre est elle exactement elliptique ou s'agit-il d'un autre ovale? Et de tous les autres amphithéâtres, en nombre considérable... pour alimenter ce vaste champ de calcul et de réflexion, voici la liste des amphitheâtres romains , commençant à Pompéi, le plus ancien connu (80 av JC). On pourra complèter avec la liste des plus grands (sur Wikipedia), et plus de généralités sur les amphithéâtres .
S'ils ont clairement des bases de forme ovale et  non circulaires, leur applatissement varie assez notablement.

En manière d'introduction, quelques petites vignettes renvoyant à des clichés trouvés sur Wikipedia (Le Mathouriste  ne pratique pas la photographie aérienne):

Pompéi (Italie) Pula (Croatie) Nimes (France)



Voûtes Cylindriques ( Génératrices Horizontales):

En Cylindre de Révolution :


Peu imaginatifs, peu innovateurs, les Romains emploieront exclusivement la voûte cylindrique en plein cintre, prolongeant par translation le principe de l'arche Étrusque; soit, géométriquement, le demi-cylindre de révolution. Elle peut atteidre des dimensions imposantes, comme ici dans la basilique de Maxence, sur le forum (ci-contre); mais la réalisation la plus harmonieuse  est celle des arcs de triomphe (ci-dessous)


 

Leptis Magna (Lybie), arc de Septime Sévère
Vues dans deux directions perpendiculaires et détail de la voute.

L'Empire Sassanide l'adopte également; mais il n'en restera pas là, comme on le verra plus loin. La structure "coupée" des iwans nous permet une observation privilégiée de la section circulaire:

palais d'Ardéchir 1-er, à Firuz-Abad (Iran)


La splendeur de la voûte en plein cintre culminera en  dans les églises romanes. Entre autres chefs d'œuvres, comment ne pas penser à la basilique Saint-Sernin de Toulouse? Sur 115m de long, elle déploie une voûte plein cintre de 8m de largeur, haute jusqu'à 21m, édifiée au XIIème siècle.

Mais il y a d'autres magnifiques exemples, Sainte-Foy de Conques, ou Sant_Pere de  Rodes, en Catalogne (sa voûte est à voir ici). Impossible de les citer tous! De façon assez originale, l'abbaye de Tournus présente une succession de berceaux cylindriques transverses à la nef.



L'église Saint-Cernin illumine le soir,                                   
D'une fleur de corail que le soleil arrose... (Claude Nougaro)



Et si vous voulez voir les génératrices... il y a le choix, selon que vous préférez l'intime ou le gigantesque. Sans le premier cas, n'hésitez pas à vous rendre à la petite chapelle ND de Héas, dernier village sur la route du cirque de Troumouse, dans les Pyrénnées, près de Gavarnie. Cet ancien lieu de pélerinage fut malmené en 1915 par une avalanche; la restauration des voutes cylindriques d'origine s'est accompagnée d'un revêtement en lattes de bois idéal pour notre propos! Pour du grandiose, admirez les poutrelles métalliques de la verrière du GOUM de Moscou, le grand magasin de la Place Rouge, œuvre du génial ingénieur Shukhov (1889; diamètre: 14m)


Notre Dame de Héas (Hautes Pyrénées) la verrière cylindrique du Goum (Moscou, Russie)

 
La juxtaposition précédente prouve, à qui en aurait douté, que la réussite esthétique est affaire de proportions plus que de gigantisme. À qui en douterait encore, nous suggérons de comparer à la Basilique de Maxence (montrée plus haut) les ces petits bijoux: un château du désert ommeyade et une petite église aux Cyclades... ou, miniatures, les  cylindres décoratifs d'un arc mauresque.
 

Qasr-el-Amra (Jordanie)
Mykonos, Agya Heleni
le dôme (calotte sphérique) est en prime!
Alcazar, Séville (Espagne)

Ce que les nouveaux matériaux permettent, c'est l'augmentation des portées: la charpente métallique permet au Goum ce que la basilique Saint Sernin ne peut offrir. De tels succès sont dans l'air du temps de cette fin du XIXème siècle; en France, la Gare d'Orsay (1898) -devenue aujourd'hui Musée d'Orsay, après avoir passé bien près de démolition- présente un autre bel exemple de voûte en cylindre de révolution.



la voûte cylindrique, au premier plan un célèbre Rodin...
... ou un célèbre Carpeaux!

En Cylindre Elliptique :

Les voûtes du métro parisien sont considérées comme elliptiques, quoiqu'une construction approchée par réunion d'arcs de cercles tangents ne soit pas exclue: si cela peut être si précis que cela prête à discussion pour un amphithéâtre, a fortiori cela passera inaperçu sur une taille, en ordre de grandeur, dix fois moins importante! Et puis, il y a la fameuse expérience acoustique de pouvoir se parler confidentiellement à voix basse d'un quai à l'autre, les deux protogonistes  se situant bien face à face, donc dans le plan d'une unique ellipse section droite du cylindre: il suffit que les deux personnages se placent aux foyers de cette ellipse, car

  • les lois de la réflexion
    • dans le plan d'incidence,
    • avec des angles égaux par rapport à la normale à la voûte,
  • et une importante propriété géométrique de l'ellipse -jadis enseignée en Terminale: la normale bissecte les rayons joignant un point à chacun des foyers
assureront le résultat.
 En outre le secret sera garanti, car aucune personne située en avant ou en arrière du foyer "récepteur", ni à côté d'un de nos bavards murmurants (il n'est pas dans le plan de l'échange) ne pourra intercepter la conversation. Stéganographie géométrique! ... et connue bien longtemps avant l'invention du métro.
Propriété bifocale de l'ellipse: figure "classique" et selon Athanasius Kircher,
Musurgia Universalis sive Ars Magna Consoni et Dissoni (Rome, 1650)

Pas si facile de réaliser l'expérience, sauf à des heures très creuses... et bien entendu, une bonne approximation par arcs de cercle donnera d'aussi bons résultats: ce n'est donc pas une preuve absolue! Tant qu'à faire, nous vous suggérons d'observer la forme (voire de tenter votre chance...) à une station dont la voûte est particulièrement belle à regarder: parmi toutes les signatures d'érudits qui y sont reproduites, figure celle de'un très grand mathématicien:  Henri Poincaré!



à la station Cluny-Sorbonne.
L'ouverture du tunnel, au fond, est, plutôt qu'une ellipse, une anse de panier, autre courbe décrivant un ovale par réunion d'arcs de cercles, mais sans chercher à simuler une ellipse.

La signature de Poincaré est tout en haut de l'image,
 ornée par la grande boucle.


N.B. :  Attention, la célèbre salle de l'écho de l'abbaye de la Chaise-Dieu n'est pas formé d'un, mais de deux cylindres elliptiques qui se coupent, et la fameuse propriété utilisée sur deux ellipses diagonales seulement, contre toutes les ellipses sections droites ici (une infinité). Suivez le lien vers notre page!

L'architecture baroque raffole des ovales en général, des ellipses en particulier. Ce qui guide tout naturellement nos pas vers Prague, où le monastère de Strahov offre deux superbes exemples dans ses riches bibliothèques (1670-1679):





Bibliothèque de théologie, peintures de Franz Siard Nosecký (1723–1727) Bibliothèque de philosophie; plafond de Franz Maulbertsch (1794)

Plus près de notre époque, l'incroyable gare de Metz offre un exemple de style néo-Roman Rhénan... On préfère, pour en juger, une vieille carte postale de l'époque où Metz était allemande (et tout dans le bâtiment l'affirme avec force) à un cliché d'aujourd'hui: en encombrant la partie centrale du hall de publicités, distributeurs automatiques, on casse la vue d'ensemble, marque d'un mauvais goût effarant (une adaptation respectueuse à la modernité aurait été évidemment possible...) . On peut toujours hésiter pour la section droite entre ellipse et anse de panier, mais en tout cas la tentative de superposition d'ellipses est plutôt probante!




En Cylindre Parabolique :


La nef des églises des Cyclades, les voûtes des ghorfas (cellules servant de greniers à provisions) des ksour tunisiens peut avoir une allure parabolique (ou s'agit-il d'un cercle prolongé par deux tangentes? On peut parfois hésiter! -peut-être selon l'habileté des bâtisseurs...).



île de Santorin (Grèce)
Ksar Ez-Zahra, région de Tataouine (Tunisie)         



Il est assez probable que la forme ait été obtenue empiriquement par les bâtisseurs, qui auront ensuite transmis ce savoir-faire de génération en génération. Qui a constaté le premier qu'une telle forme offrait plus de solidité qu'une section circulaire, et partant permettait de réaliser un ouvrage plus large? Il est à parier que cette découverte n'en fut pas une... mais plusieurs, indépendantes dans le temps et l'espace. La trace la plus ancienne connue se trouve en Perse antique (Iran, actuellement);  il s'agit des sépultures royales élamites de Haft-Tepe, estimées de la fin du troisième millénaire avant notre ère!  Comparant aux célèbres tombes de Mycène (Grèce), datées environ de 1500 av. J.C. qui ne présentent qu'un piètre encorbellement, le Mathouriste ne peut s'empêcher de repenser, mi-amusé, mi-scandalisé, à ses cours d'Histoire de 6ème, où les ennemis de la Grèce étaient présentés comme les Barbares... ces barbares étaient donc plus avancés technologiquement!

Toujours en Iran, le site sacré (zoroastrien) et fortifié de Takht-e-Suleiman (Trône de Salomon), qui date de l'empire sassanide, offre des exemples du même ordre de grandeur. Les matériaux varient: pierres, briques. Comme il s'agit souvent d'espaces "techniques" (couloirs de coirculation de la forteresse), on pardonnera une finition... disons, parfois sommaire!

Haft-Tepe (source inconnue)
 apparence restaurée actuelle sur Wikipedia





forteresse sacrée de Takht-e-Suleiman (Azerbaïdjan iranien)

Mais en reprenant ce principe, l'empire sassanide a fait preuve d'une grande hardiesse, édifiant ce qui restera la plus grande arche en briques au monde: 26m d'empattement pour 37m de haut. Une arche, à elle seule symbole du rêve de l'Orient... au point d'avoir fait la publicité pour un train de rêve!





affiche et voitures de l'Orient Express, exposition IMA  (Paris , 2015)


Le Mathouriste avait eu la bonne idée d'un voyage en Irak... et la mauvaise de ne pas passer à l'acte assez rapidement! De toutes façons, il n'aurait pas pu réaliser un cliché aérien, et celui-ci (1929) a le charme des photos jaunies...

Qui exactement commanda la construction du palais dont elle constitue l'iwan? Shapour 1er (règne: 240-272) , après avoir écrasé l'empereur romain Valérien, ou Khosro 1er (règne:531-579) , après avoir vaincu les Byzantins en 540? Le nom actuel, Tak-Karsa, fait pencher pour la deuxième hypothèse, mais il pourrait aussi bien, pour marquer le "deuxième âge d'or de l'Empire Sassanide", avoir (très substantiellement) embelli un palais antérieur. Laissons ce débat aux archéologues, et intéressons nous à la géométrie de ce qu'on connaît mieux sous le nom d'arche de Ctésiphon.



Cette arche est souvent, dans les ouvrages, qualifiée de parabolique. Mais on a de plus en plus tendance à considérer qu'il s'agit d'une chaînette inversée. En faveur de cet argument, le principe que Robert Hooke (1635-1703) fut le premier à présenter par écrit en 1675, mais dont l'intuition a pu frapper les architectes dès l'antiquité : 

Ut pendit continuum flexile, sic stabit contiguum rigidum inversum."
que l'on pourrait traduire approximativement par
"De la même façon que pend un fil flexible, s'élève l'arche rigide, mais de manière inversée."

La parabole étant une approximation de la chaînette aux termes du quatrième degré près, faire la distinction avec certitude n'est pas toujours facile; on retrouve entre terrain et modèles théorique un problème similaire à celui de la forme des amphithéâtres!
Sur la chaînette (et les cylindres associés), nous vous renvoyons à notre page dédiée, dont la vedette est la Gateway Arch de Saint Louis, Missouri.(USA); le modèle ci-contre est un exemple pédagogique qui y est présenté.





L'arche sassanide va avoir une grande postérité, y compris dans l'architecture contemporaine., La façade du Musée National d'Iran (Téhéran) rend hommage à l'iwan de Ctésiphon, sous le trait inspiré du français André Godard (1937). C'est plus que jamais un symbole puissant de la perennité de la civilisation dans ce pays,où l'Islam a intégré cet élément antérieur dans ses mosquées et médersas.
Musée National (Téhéran) : façade et détail de la voûte d'un iwan

Plus près de nous, la tour Aazaadi, édifiée en 1971 "pour les 2500 ans de l'Empire Perse" rend un double hommage à la voûte de Ctésiphon et à l'architecture islamique ultérieure. Appréciée de la population, elle n'a pas été vraiement menacée lors de la Révolution de 1979; tout au plus a-t-elle changé de nom: sa première appellation Shahyad ("Tour des Rois") évoquait trop le souverain chassé .





Le mieux, à ce sujet, est d'écouter son toujours jeune architecte Hossein Amanat -il gagna le concours pour ce monument alors qu'il n'avait que 24 ans! - dans cette vidéo (sous-titrée en Anglais)   présentée sur le site de son cabinet d'architecte. Quelques extraits, sous forme de captures d'écran:




"Je m'ennuyais à la faculté de technologie [...] je n'y étais pas très heureux. L'architecture ne me fascinait pas. La chose que je trouvais importante, c'était l'histoire de l'Iran.
[ À Persépolis], je me suis retrouvé au beau milieu de mes rêves, de ce que j'avais appris à l'école.Cette fascination pour l'histoire est ce quil y avait de plus important pour moi."


"La voûte de Ctésiphon est vraiment l'essence du design de mon arche, elle est ce qui reste de la glorieuse grandeur de l'Iran avant l'Islam. Je ne l'ai pas faite exactement pareille, c'est plutôt une évocation; ici,  j'en ai élargi la base par rapport à l'originale.
La deuxième arche est post-islamique; c'est un arc brisé, qui représente la culture iranienne après que l'Islam s'y soit répandu."




"Le jury a dit quelque chose comme: aucun des projets ne répond à ce qui est attendu, tandis que celui s'en approche d'assez près."


  L'arche "parabolique" de Ctésiphon a eu bien d'autres influences, en particulier en Europe.Voici le fichier personnel de la collection de photographies d'un des plus célèbres architecte au monde... et qu'y voit-on , côte à côte?




au Bauhaus Museum de Dessau (Allemagne), inauguré en 2019

Avec les indices: Bauhaus, Dessau, vous aurez sûrement deviné que l'architecte n'est autre que Walter Gropius. Plus étonnant est le bâtiment de l'image de droite: c'est l'un des deux hangars à dirigeables édifiés à Orly (alors aéroport militaire de la Marine Nationale) en 1921 par un grand inégénieur français, Eugène Freyssinet (1879-1962), mondialement connu comme l'inventeur (dès 1908) du béton précontraint, technique (bien expliquée ici, sur le site de l'Association Eugène Freyssinet, qui maintient le souvenir de l'homme et de l'œuvre) qui s'est largement répandue après la Seconde Guerre Mondiale.  Le Mathouriste est particulièrement heureux d'avoir pu... photographier la photo (!), car ces hangars ont été détruits lors d'un bombardement américain en 1944. Ce qui est particulièrement intéressant, c'est que Freyssinet revendiquait explicitement la forme parabolique! (On peut légitimement espèrer d'un X-Ponts une connaissance suffisante de mathématiques pour ne pas confondre les deux courbes, parabole et chaînette) Pour coffrer les nervures successives, il conçoit un cintre en bois, léger et réutilisable, afin de le déplacer d'arche en arche.



La mise en place du cintre. Documents tirés de l'article de la revue en ligne Préfigurations :
 
Jean Philippe GODIN, Les hangars à dirigeables d'Orly, d'Eugène Freyssinet, ou le béton optimiste…

Heureusement, un hangar à dirigeable, un seul et unique en France, a pu être préservé (et classé monument historique en 2003) : il se situe à Écausseville (Manche). Sa  forme de cylindre parabolique (partie supérieure seulement; elle se prolonge ensuite vers le sol par les plans tangents) est attestée sur ce plan... issu d'un cours à l'École Centrale!




captures d'écran issues de cette (bonne!) vidéo de présentation, qui rappelle que le bâtiment a aussi besoin de travaux de restauration!

Il a été conçu en 1917 par
l'ingénieur Henry Lossier (1878-1962), mesure 150m en longueur et 31m en hauteur. Mais une fois de plus revient la question: chaînette ou parabole? Il est assez amusant de constater que l'article qui le présente dans la revue Le Génie Civil, en 1919, hésite plus ou moins consciemment, le texte évoquant une chaînette légèrement déformée, alors que l'une des figures qui l'accompagne fait nettement pencher du côté de la parabole, grâce à une propriété classique: le point où la tangente est parallèle à la corde (et maximise l'écart courbe-corde) est à une abcisse moitié de celles du sommet et de l'extrémité!



"Les toitures nous apparaissent communément, par la force de l'habitude, comme devant comporter essentiellement des surfaces planes, et, facilement, nous ne verrions dans l'emploi de formes courbes et cylindriques que le résultat exceptionnel et imprévu d'un caprice d'artiste, la seule façon naturelle d'assurer l'écoulement de l'eau étant de la recevoir sur un plaan incliné.
Toutefois, si cette solution semblait s'imposer, c'est avant tout parce que les charpentes de tout temps ont été établies avec des pièces de bois ou de fer naturellement droites [...]
À la vérité, une pente uniforme n'a pourtant rien de rationnel a priori. La pente, en s'éloignant du faîte, devrait bien plutôt aller en croissant, à mesure que s'accroît la quantité d'eau qu'il s'agit d'égoutter. [...]
La voûte ayant partout une section constante, les charges permanentes sont iuniformément réparties le long de l'arc et la courbe d'équilibre théorique serait une chaînette.
M. Lossier a légèrement déformé cette courbure théorique pour tenir compte des modifications de la courbe des pressions sous les actions éventuelles du vent."


la consultation de ctte revue nous a été suggérée par le lien sur la page Wikipedia du hangar d'Écausseville.



Mais revenons à Freyssinet, pour une de ses œuvres qui a eu la chance, non seulement de survivre, mais de faire l'objet d'une restauration récente (2012) et de qualité: les Halles du Boulingrin, lieu du marché couvert de Reims. Associé à l'architetcte Émile Maigrot, Freyssinet est l'ingénieur capable de réaliser une coque mince de béton (7cm d'épaisseur "seulement"), "parabolique" (avec les prudentes réserves maintes fois formulées quant à une possible chaînette...), culminant à près de 20m en hauteur, pour une portée de 28m de large. La construction est rapide, comme en témoignent les images d'archives ci-dessous (source: Wikipedia Commons); elle est inaugurée en 1929.



Septembre 1927
Janvier 1928

Elle at tout de même frôlé la destruction, après sa désafffectation pour raisons de sécurité en 1988... Sensible à la mobilisation des Rémois (du moins, de ceux qui ne soutenaient pas le projet de destruction d'une "verrue en béton"), le ministère de la Culture l'a classée monument historique en 1990; après plus de 20 ans d'annonces, contre-annonces... enfin, une routine franco-française, elle a retrouvé sa fonction de marché bien vivant.

Cylindre Parabolique bis... en Destruction!

Détruire en temps de guerre... sans l'excuser, le contexte l'explique (ainsi, les hangars d'Orly étaient utilisés par l'armée doccupation allemande, donc devenaient des cibles "naturelles" pour les bombardements alliés.). Mais détruire en temps de paix, sans souci patrimonial... peut-on le justifier? L'expliquer, certes: on mettra (parfois bien commodément) la nécessaire modernisation, les coûts, l'absence de financement, encore qu'il faille souvent commencer par l'inexcusable, l'absence, voire le mépris de la culture qui caractérise un nombre croissant d'élus: la sauvegarde et la préservation d'un monument, c'est un geste à échéance de dizaines d'années, voire de siècles à venir, rien à voir avec la durée d'un mandat électoral. On ne peut non plus dédouaner leur formation, et si celle-ci finit souvent à Sciences-Po ou l'ENA, il serait injuste d'oublier qu'elle commence à l'école primaire. Le goût d'un individu, comme celui d'une nation, cela se forme, et pas en un seul trimestre!
Mais que voyons nous ici?



source de l'image: ce blog
source: Paris-Normandie

La destruction de l'église Sainte-Bernadette au Grand-Quevilly, et le sourire béat d'élus posant la première(?) pierre (brique?) d'un ensemble de logements sociaux à sa place (image du quotidien Paris-Normandie, retouchée par nos soins pour préserver l'anonymat des responsables du forfait...). Ah, si c'est pour du social, direz vous... mais attendez, en quoi des mesures sociales empêchent-elles le respect du patrimoine? Vite, qu'on nous explique!

Il s'agissait d'un splendide cylindre parabolique, conçu par l'architecte Henri Caron, inaugurée en 1962. Une architecture très caractéristique de son époque, aujourd'hui méprisée, en jetant sur l'anathème sur le matériau (le béton) plutôt que sur les urbanistes qui en ont fait un usage effectivement calamiteux. Voici à quoi elle ressemblait... avant, et lors de sa construction.



source des images: ce blog


Pages connexes par le sujet:


Vers toutes les autres sections:

Revenir à la Home Page du Mathouriste