Arago, enfin une nouvelle statue ! 


Dans le dernier volet de ce triptyque, le Mathouriste vous fait vivre, en léger différé, l'inauguration du 2 Octobre 2017, soit 164 ans exactement après le décès du savant... et 75 ans après sa destruction. Trois quarts de siècle pour laver un affront franco-français puisque, rappelons-le en préalable, s'il s'agissait en 1942 de fournir un tribut en métal aux forces d'occupations, celles-ci n'exigeaient qu'un tonnage... et avaient laissé au gouvernement de Vichy le "soin" d'opérer les choix des représentations sacrifiées.

Prélude

Dimanche 1er Octobre

Cette fois, c'était la bonne: après bon nombre de rebondissements lors du choix, un report de date d'inauguration, de juin à octobre -mais le choix de la date anniversaire de son décès n'était-il pas meilleur?- les invitations avaient été envoyées, et, vérification faite la veille, c'est bien la statue, reconnaissable à sa forme hélicoïdale, qui était là, sous la bâche, dans le jardin de l'Observatoire de Paris.



Le méridien, désespérément vide; à sa droite, les palissades délimitant la statue.

Mais, mais, MAIS... comment se fait-il qu'elle ne soit pas exactement positionnée sur le méridien de Paris, comme prévu?

Lundi 2 Octobre, quelques minutes avant le début de la cérémonie...

Ils sont bien là, prêts pour le grand jour, les X en grand uniforme!
Mais aussi, un curieux personnage qui s'est installé tout en haut du socle désormais définitivement vide, de la place de l'Île de Sein et lance périodiquement aux passants des "Francois, où es-tu?". Le socle a été décoré d'affichettes, non dénuées d'humour, évoquant un Dibbets non dénué d'humeurs. Opposant de la dernière heure? Farce potache des polytechniciens, qui ont une solide réputation en la matière...




  "T'es où, Francois, t'es ?"

   Les avis semblent partagés; le Mathouriste lui-même hésite: après avoir penché pour l'opposant, il opte pour une mise en scène comique... non, c'est bien un opposant, au nom de quelques riverains du quartier, on l'apprendra plus tard... (mais que serait un quartier sans riverains opposés à un projet quel qu'il soit!)

Le Moment, tant attendu

Des Discours...

Pour évoquer le savant prolifique, les rôles se répartissent quasi naturellement, selon les postes occupés par les intervenants: quoi de plus naturel que d'évoquer l'astrophysicien quand on dirige l'Observatoire, l'élève et le professeur de l'X quand on dirige l'École? (On verra même un petit sourire traverser les visages des jeunes polytechniciens quand sera évoqué ce mélange de discipline et d'esprit d'insubordination qui les caractérise depuis plus de deux siècles)



    Claude Catala, président de l'Observatoire de Paris:

"Arago travaille aussi avec des innovateurs, comme Vicat, avec qui il met au point la chaux hydraulique, ou Daguerre qu'il aide dans son invention du procédé photographique qui jouera d'ailleurs un rôle prépondérant en astronomie. C'est ainsi qu'Arago et Daguerre obtiennent en 1839 la toute première photographie astronomique d'une éclipse partielle de soleil
[...]. L'avènement de la photographie scientifique, en ce milieu du  XIXème siècle, marque un tournant décisif pour l'astronomie, que l'on doit principalement à François Arago, même si elle n'a été utilisée que vers la fin de ce même siècle. [...]

Il découvre notamment dès 1811 la polarisation circulaire chromatique de la lumière [...] Il étudie alors les propriétés de polarisation de la lumière issue de divers milieux. Il en déduit que la surface du soleil est gazeuse, réussissant pour la première fois dans l'histoire à caractériser la nature physique d'un astre seulement par une observation à distance. C'est la naissance de l'astrophysique, qui n'a cessé de se développer depuis, et que nous lui devons donc."

François Bouchet, Directeur général de l'École Polytechnique:

"[En 1809], Gaspard Monge, un des fondateurs de l'École Polytechnique, titulaire de la chaire d'analyse appliquée à la géométrie, tomba malade et demanda à Arago de le suppléer pendant l'année scolaire 1809-1810.
Arago devait finalement assurer pendant 20 ans le cours de géométrie analytique, auquel s'ajoutèrent un enseignement de géodésie, un cours de mécanique appliquée dit cours de machines, et enfin un cours d'arithmétique sociale instauré en 1816. Arago n'enseigna donc ni la physique ni l'astronomie à
Polytechnique. [...]

En juin 1830, il fut élu secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences. La révolution éclata le 28 juillet. Après le départ de Charles X, l'École  étant en ébullition, on donna un congé de trois mois aux élèves et on réunit une Commission pour proposer des réformes. Arago, très proche des élèves, en fit partie et en assura de fait la présidence. [...] C'est donc lui qui prit en main pour quelques jours seulement, mais des jours décisifs, la conduite de l'École et les débats avec les élèves qui, à la rentrée, manifestaient bruyamment leur désaccord avec certains points des réformes. Arago, toujours resté au contact avec la jeunesse, expliqua, négocia et obtint le retour à l'ordre.[...] puis, hostile au cumul des mandats, il démissionna de ses postes de professeur pour se consacrer au reste de ses activités, désormais principalement politiques. [...]

Peu avant sa mort, il dénonça les effets d'une nouvelle réforme imposée par Louis-Napoléon Bonaparte et menée par une Comission mixte, dont le membre le plus influent était son ennemi intime Le Verrier! Réforme incohérente qui suscita la démission de plusieurs professeurs et examinateurs, et dont l'X eut de la peine à se guérir."

Tout ne peut être dit, en un temps somme toute bref, sur celui qu'on honore aujourd'hui - le Mathouriste  a ainsi choisi des extraits complémentaires à sa page biographique. Mais il y a aussi une belle plaquette complémentaire, avec des articles de Gabriel de Broglie, James Lequeux, et Guy Jacques (Directeur de Recherche, CNRS); de ce dernier, qui développe le thème du formidable Passeur d'idées que fut Françàis Arago, donnons seulement ce petit extrait:

"Le destin de beaucoup de savants illustres eut été différent si leur routes n'avaient pas croisé celle d'Arago; éclectique et visionnaire, il a «anticipé» des découvertes scientifiques importantes. Il partage ses idées et encourage les jeunes talents qu'il a le don déceler. Il a l'œil à tout, voit les actions à entreprendre et les expériences à réaliser car son but est l'expansion de la Science. [...]
Ampère, Arago et Fresnel, ces trois Français, jouèrent un rôle majeur dans l'élaboration, au XIXème siècle, d'une théorie unificatrice entre lumière, électricité et magnétisme: Arago fut leur mentor, leur guide souvent, leur ami toujours, leur collaborateur aussi; son soutien ne se démentit jamais." 

Cette unification qu'il pressent, qu'il appelle, qu'une mort trop précoce l'empêche de mener à bien,elle sera l'œuvre , mieux, le chef d'œuvre de James Clerk Maxwell en 1865. Une dernière fois, Arago aura "passé la balle" à un buteur de classe exceptionnelle!  

Nous donnerons de plus larges extraits du discours du président d'Ars Arago, car ils sont le roman des incroyables tribulations vécues pour mener à bien ce projet. Kafka? La bureaucratie soviétique dans ses pires moments? Non, tout simplement... la France! Sans doute nous raconte-t-il "sa" vérité, mais il le fait avec un humour qui n'a d'égal que sa ténacité, jusqu'à sa conclusion. En l'écoutant, on se dit qu'en comparaison, l'Ulysse d'Homère n'avait fait qu'une tranquille partie de canotage par une belle après-midi!




Hubert Lévy-Lambert, Président d'Ars Arago:

"Comme beaucoup de statues en bronze, la statue d'Arago avait été fondue en 1942 pour aider à l'effort de guerre allemand, sur la base d'une liste établie par la France. Mais elle n'a jamais été refaite, alors que la plupart des autres statues de France et de Navarre l'ont été*. [...]. À Paris, son socle reste désespérément vide.

En 1955, dans
Rendez-vous avec Paris, Gérard Bauer, alias Guermantes, écrivait
«Le mur gris du boulevard Arago , avec son socle sans statue -adieu, M. Arago!... Ces socles sans statue, quel veuvage imprévisible!...» [...]
Depuis 75 ans,divers projets ont été envisagés 
[...] mais aucun n'a abouti jusqu'à ce jour. Même le projet de faire une copie de l'ancienne statue a été écarté en 1992 au profit d'une œuvre nouvelle par une commission réunissant des représentants de la Ville de Paris, du ministère de la Culture et de l'association François Arago". [...]
Même si Jan Dibbets est un artiste de renommée mondiale, son
œuvre est peu visible et elle a déçu de nombreux admirateurs d'Arago. Elle est au surplus bien fragile, de nombreux médaillons ayant disparu au fil des ans suite à des réfections de trottoirs ou de simples larcins.[...]
Lorsque je l'ai contacté au début de 2015, Dibbets
s'est déclaré enthousiaste à cette idée et a même accepté de faire partie du jury chargé de sélectionner le nouveau projet. [...] Tout baignait!"
* N.d.Mathoursite : hélas non, TOUTES les statues n'ont pas été reconstruites; Poisson et Fourier attendent toujours!

"À la date du 15/06/2015 fixée par le réglement, le jury avait reçu sous forme d'esquisse papier 18 projets émanant d'artistes français et étrangers et se préparait à faire en octobre une première sélection de 5 finalistes quand Jan Dibbets, auteur des médaillons de 1994, a soudainement changé d'avis en octobre 2015, considérant, tout bien réfléchi, que le socle devait rester vide.
Ce veto inattendu a curieusement été confirmé par la Ville de Paris, soucieuse d'éviter un litige avec un artiste qui avait une solide réputation de plaideur. N'avait-il pas gagné un procès en contrefaçon contre Sony Pictures qui avait installé quelques médaillons près de la pyramide du Louvre pour aider le professeur Langdon à trouver le secret du Code de Léonard de Vinci, de Dan Brown?
J'ai donc envisagé d'installer le nouvel hommage à Arago ailleurs sur ma place, mais
la Ville de Paris, décidément pusillanime, a considéré que Dibbets aurait aussi des droits sur la place! J'ai alors découvert dans les archives de l'Observatoire que l'hommage à Arago, projeté en 1886, devait être implanté dans le jardin de l'Observatoire. Ironie de l'histoire, à l'époque l'administration avait interdit cette implantation, arguant du fait qu'il y aurait eu des projets immobiliers, et proposé d'aller de l'autre côté du boulevard. [...]"



"Pour éviter que le jury risque de choisir des artistes pour ce qu'ils sont plutôt que pour ce qu'ils font,  le règlement de la consultation prévoyait que les artistes soient désignés par des lettres grecques. Au bour de quelques séances, certains membres se sont rebellés  et ont demandé à connaître les noms [...]. Mais ce qui devait arriver arriva: tel artiste qui avait été écarté s'est retrouvé en tête, au motif qu'on ne pouvait pas rejeter une personnalité aussi connue. Tel autre qui avait une bonne note s'est rerouvé rétrogradé, au motif qu'il avait mauvaise réputation! [...]

Après plusieurs réunions de discussion courant 2016
[...], les conservateurs de musée ont voté unanimement en faveur du projet de Wim Delvoye, avec un argument décisif: «si vous choisissez un autre projet, nous quittons le jury!» Plusieurs scientifiques s'y étant ralliés, Wim Delvoye l'emportait alors avec 10 voix  contre 5 au projet plus figuratif d'Elisabeth Cibot. Parmi les minoritaires figuraient le président de l'Observatoire, le président du comité de quartier Raspail-Montparnasse et moi-même. [...]"
 


"Restait à avoir les autorisations administratives requises: l'Observatoire , la Ville de Paris, et le ministère de la Culture formaient a priori un trio redoutable. [...] . Le président de l'Observatoire ayant voté contre le projet, tous pensaient que cela s'arrêterait aussitôt. Mais, contre toute attente, son conseil d'administration [écrivait] «qu'après une longue discussion, il n'avait pas souhaité effectuer une censure suite à une sélection d'œuvres par un jury compétent.»

Tous les regards se tournaient alors vers 
la Ville de Paris qui avait dès l'origine indiqué que le projet devrait être soumis à un mystérieux «Comité pour l'Art dans la Ville» dont la composition était secrète. Après de longues recherches, je me rendis avec un imprimé Cerfa de 20 pages en 5 exemplaires au service compétent, qui me déclare, à ma grande surprise, qu'il n'est pas compétent, s'agissant d'un site classé!

Je me retourne enfin vers le ministère de la Culture dont la représentante commence par me dire qu'il n'est pas question de mettre une statue dans ce site classé et surtout pas sur le méridien. Elle accepte, après de longues tractations, de se rendre sur place pour trouver un emplacement aussi discret que possible.
L'emplacement qu'elle choisit au fond du jardin est si discret que personne ne pourrait le voir, mais heureusement Xavier Douroux parvient à obtenir un meilleur emplacement, mais n'obtient pas que la statue soit érigée sur le méridien de Paris qu'Arago avait si brillament reconnu. L'autorisation de travaux est accordée le 25/01//2017 
[...]. Le permis est affiché pendant le délai réglementaire et ne suscite fort heureusement aucun recours."

"Ce n'est pas la sculpture dont je rêvais ni l'emplacement que j'escomptais,
mais je peux dire néanmoins: mission accomplie!"

Il est temps de confier la lecture d'un texte dont le manuscrit vient, paraît-il, d'être retrouvé à l'observatoire, à un jeune polytechnicien,  sous le regard attentif d'un futur... poète ou polytechnicien? Allez savoir!


Dans l'île de Guernesey où je suis exilé,
J'apprends avec tristesse que tu t'en es allé.
Quand tu entras à l'X en l'an mil huit cent trois
Ce siècle avait deux ans, assurément pas trois.
[...]
Pour me faire pardonner cette erreur de calcul
Je t'adresse humblement ce modeste opuscule
[...]
Ô brillant astronome au passé éclatant
Incontestablement le premier de ton temps,
Septante ans ont passé et cette place austère
Gardera à jamais la trace de la guerre.

(Vous trouverez en fin de page un lien vers le texte complet.)

... et des Actes!

Il ne reste plus à Claude Catala et Hubert Lévy-Lambert qu'à dévoiler le nouveau monument....

...qui a suscité curiosité (notamment par sa patine spéciale, très noire, prévue pour que l'effet du temps et des intempéries, généralement assez rapide sur le bronze, ne se fasse sentir que très lentement) et... nouvelles discussions!





Dernière surprise, le méchant provocateur scatologique livrait enfin un discours à contre-emploi de son personnage médiatique: plutôt fade, effroyablement banal, et pour finir, dont le rapport à Arago et à ses travaux était à peu près aussi évident que celui de sa statue au grand astronome: l'heure était sans doute celle du consensus mou, comme un bâton de guimauve... qu'une torsion hélicoïdale tente en vain de déchirer. L
e Mathouriste laisse ses lecteurs juger sur pièces:



"J'y ai projeté l'esprit du temps contemporain (Zeitgeist) en lui appliquant une torsion mathématique.
Ce faisant, je me suis référé aux lois de la physique qu'Arago a prises comme objet d'étude.[...]

À une époque où des images multiples bombardent notre cerveau en permanence et où la culture visuelle met une contrainte constante sur tous, et où de nouvelles icônes influencent notre équilibre mental et physique, je suis reparti de la sculpture originale d'Arago, faite à une époque où les scientifiques étaient les vraies personnalités influentes, et j'ai projeté un tourbillon, me référant à nouveau à la loi physique de base de la nature ou à la force centifuge dont proviennent toutes les autres connaissances et la vie.
De cette façon, je me réfère également à l'aspect astronomique des activités de François Arago."
 

L'intégralité des discours et des textes de plaquette est à retrouver ici (sur le site d'Ars Arago)

Pour finir, le Cocktail!  




La manifestation se clôturait par un cocktail, dans l'impressionnante salle de la méridienne (celle de Cassini), dont les voutes sont une des plus belles illustrations que l'on puisse donner à l'art -tout géométrique- de la coupe des pierres. Pour la rejoindre, les participants avaient d'abord traversé la Grande Galerie, s'attardant entre ses boiseries magnifiques et la collection d'instruments historiques, dont le cercle répétiteur utilisé par Arago.
Le tableau du maître, celui-là même qu'il utilisait dans ses cours d'astronomie populaire, s'offrait aux messages de sympathie que voudraient bien y laisser les participants... mais attention, sous forme électronique seulement! Pas question d'approcher craie et chiffon de ce grandiose meuble historique! Tapée au clavier d'un ordinateur, l'inscription apparaissait comme manuscrite, grâce à un dispositif de projection.


Il reste quand-même une question centrale: le passant qui passe devant le socle vide sera-t-il plus interpelé qu'auparavant? Saura-t-il mieux qui est Arago (à part, évidemment, celui qui est célèbre pour avoir donné son nom à un boulevard...) Son regard sera-t-il guidé vers le nouveau monument? Installera-t-on quelque panneau explicatif près du socle toujours vide, quelque autre panneau indiquant où regarder pour saisir un quelconque changement dans l'espace urbain?

Attendons, d'ici un an, deux ans, cinq ans un petit sondage sur les lieux, et pourquoi pas un mémoire de master de sociologie pour nous présenter les résultats, en nous expliquant qu'ils étaient prévisibles...
... et terminons sur le commentaire optimiste exprimé par une charmante jeune fille, visiblement séduite par le prestige de l'uniforme polytechnicien, qui, en attendant peut-être de l'endosser un jour, affiche sur la poche de son vêtement la conclusion sur le déroulement de la cérémonie!





   
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