Six Apparitions de Liouville sur un Piano (facétie de l'auteur d'après Salvador Dali)

2009
: voilà 200 ans qu'est né Joseph Liouville, et qui vous en parle? Modestement, le Mathouriste vous propose quelques images liées à sa vie et à son œuvre.
Tenant avec un grand retard sa promesse initiale, il a pu compléter assez richement sa première ébauche grâce à des documents recueillis à l'École Polytechnique (exposition 2010, voir à la fin de cette page!), aux archives du Collège de France et auprès de ses descendants... que tous soient ici remerciés pour leur autorisation de les publier pour célébrer dignement ce grand mathématicien du XIXème siècle, un siècle extraordinairement riche en France, qui s'ouvre avec les Laplace, Fourier, Poisson et se clôt avec Poincaré.

Cette page est essentiellement consacré à une biographie illustrée, selon l'habitude du . Ses mathématiques sont évoquées dans celle-ci.

Être né Quelque Part...

C'est à Saint-Omer (Pas de Calais), qu'il faut se rendre pour commencer, et consulter le registre des naissances de l'an 1809:

Page de Garde et Index Alphabétique... pas très en ordre dans la rubrique de chaque lettre!

Registre ouvert aux pages concernant Liouville: l'acte est à cheval sur les deux pages.

Pour lire l'Acte de Naissance in extenso.

C'est au hasard des affectations militaires que Joseph doit le lieu de sa naissance, le 24 Mars 1809: son père est Capitaine au 28ème Régiment d'Infanterie de Ligne, alors cantonné à Saint-Omer (Les numérotations et affectations des régiments ont très souvent changé dans l'Histoire de France; à Saint-Omer la caserne est plus connue comme étant celle du 8ème Régiment d'Infanterie: c'est la situation pendant la guerre 1914-1918).

Drapeau du Régiment, en 1812.

Il est donc fort probable que son lieu de naissance soit... la caserne de l'Esplanade, dite aussi caserne de la Barre, la plus ancienne de la ville (1701, modifiée en 1768, et inscrite au Patrimoine de France), où logeaient également les officiers et leurs familles.
Deux façades (à angle droit l'une de l'autre; leur disposition dans l'ensemble sur une carte postale ancienne)


À travers le porche, on aperçoit les parties réservées aux officiers.

La famille est originaire de l'Est, et y retournera bientôt: elle s'établit à Toul en 1814, où Joseph va au collège (Il a fait ses débuts scolaires à Commercy). Il sera toute sa vie fidèle à ce lieu de résidence, mais essentiellement pour y passer ses vacances, aussi en parlerons nous un peu plus loin.

La Science se fait à Paris...

Études


Liouville est venu comme élève au Collège Saint Louis, pour préparer l'École Polytechnique, et il a réussi le concours en 1825.
Il en sortira n°8 en 1827, avec pour choix d'école d'application, celle des Ponts & Chaussées -le même choix que Cauchy. Tout ceci est consigné sur la fiche de scolarité ci-contre.

Il y a suivi les cours d'Ampère et Arago,




Deux vues de la cour de l'École, aujourd'hui et hier (gravure) ...
N'oublions pas qu'Ampère y enseignait les mathématiques! (calcul différentiel et intégral)

Pas de doutes: c'est un brillant élève (peut-être un peu moins sur le versant littéraire...)


Registre des notes des élèves, ouvert à la page le concernant

Suivons le aux "Ponts" (aujourd'hui squattés, sans grande délicatesse, par un autre établissement)



Paris, rue des Saints Pères. Ceux qui, plus tard, mettront de l'ordre en France pourraient d'abord balayer le trottoir devant leur porte...

Mais un poste d'ingénieur dans ce domaine ne convient ni à ses goûts, ni à sa santé fragile; avec une certaine audace, il invoque son récent mariage pour refuser un poste à Grenoble!
 Liouville  va alors réussir àenchainer les postes dans des établissements prestigieux: l'École Centrale (1833),  le Collège de France (1837), l'École Polytechnique, comme professeur de Mécanique cette fois (1838), le Bureau des Longitudes.

Carrière: les Grandes Écoles

Il revient à l'X comme répétiteur dès 1831 À Paris, où : c'est son premier poste académique, et il a notamment Le Verrier comme étudiant.

Il fait aussi la rencontre de deux jeunes Genevois venus chercher (si l'on ose dire...) "fortune scientifique" à Paris, Daniel Colladon et Charles Sturm, qui débutent comme assistants d'Ampère au Collège de France en 1825. Avec le second, il travaillera les équations différentielles, mais le premier lui met le pied à l'étrieren le recrutant en 1833 pour lui succéder à la chaire de Mécanique Rationnelle de l'École Centrale des Artss & Manufactures, fraîchement créée et dont la vocation est d'être un pendant civil à Polytechnique, qui est militaire.




Le site historique de la première Centrale est bien connu des touristes... s'ils lisent la plaque à l'entrée du Musée Picasso! (Hôtel Salé, Paris)

Il effectue simultanément un éphémère passage au lycée Louis le Grand comme professeur de classes préparatoires aux concours. Et ce nest pas n'importe qui qu'on lui donne à supplée, mais le fameux Richard qui a eu pour élève, entre autres, Galois et Hermite.




En 1835, la maladie d'un examinateur de l'École Polytechnique, Reynaud,  lui offre l'opportunité de postuler à son remplacement, avec succès. La même année, le décès de Navier, libère une place de professeur sur laquelle il fonde d'autant plus d'espoirs qu'il a fait le remplacement temporaire du défunt. Liouville, Duhamel et... Auguste Comte (qui deviendra plus célèbre comme philosophe) sont sur les rangs.Le Conseil d'Instruction de l'École place Liouville en tête, devant Duhamel; mais l'Académie des Sciences, qui a son mot à dire, met les deux candidats ex-aequo. Après quoi, la décision ultime revient au Ministère de la Guerre (puisque l'École est sous sa tiutelle), et il arrête son choix sur Duhamel.


candidature à la place de Reynaud
(archives de l'X)


Partie remise, donc, mais pas pour longtemps:  il est élu professeur d'analyse et de mécanique en Octobre 1838, juste à temps pour démarrer le cours de seconde année. Il persuade le Conseil de lui adjoindre son ami Sturm comme répétiteur... et voilà la dream team Sturm-Liouville en place!

ci-contre: notes du cours de Sturm oprises par un poluytechnicien... qui n'a pas hésité à caricaturer le prof !.

Les cours de Liouville ont, eux aussi, été conservés en transcription manuscrite...




le cours d'analyse (notes manuscrites reliées)
notes d'un élève.
Ici, Liouville introduit la fonction Gamma!
le "cahier de textes" (!)
de la progression du cours

si bien que l'on peut encore se les procurer aux Éditions de l'École Polytechnique.



Carrière: le Collège de France et l'Académie des Sciences

C'est en qualité de suppléant de Biot (titulaire d'une chaire de 1801 à 1862!) que Liouville entre comme chargé de cours au Collège de France:; et il sera renouvelé sur ce poste jusqu'en 1843.

Le Collège de France (Paris) annonce de cours du tandem Biot & Liouville
Biot (Hôtel de Ville, Paris)

Son enseignement porte alors sur des sujets très divers de physique (électricité, chaleur) et astronomie (réfractions astronomiques, perturbations planétaires). On sait en particulier que la "saison" 1841-42 est consacrée à l'Analyse de mémoires de Laplace, Fourier et Poisson sur la physique mathématique: le voilà au cœur du plus fameux triangle de personnalités et du grand problème de l'époque, la diffusion de la chaleur!
Mais l'intitulé laisse une place aux mathématiques appliquées : les équations différentielles appliquées à la physique, ou les méthodes générales d'intégration en usage dans les problèmes physico-mathématiques. Dès la première saison 1837-38, il traite de la théorie de Sturm-Liouville, qui à la fois généralise puissament celle de Fourier et a été fondée en généralisant les conditions du problème calorique de Fourier.



Lettre de candidature.

NB: source des documents "tamponnés":
Collège de France.
Le Mathouriste lui adresse ses remerciements pour l'autorisation de les photographier et de vous les présenter.

En Mai 1843, le décès de Sylvestre Lacroix ouvre un poste en Mathématiques, et Liouville fait acte de candidature. Libri et Cauchy (devant lequel, comme on le voit ci-contre, il serait prêt à s'incliner). Le nouveau titulaire sera élu, à la majorité absolue, par ses pairs. Libri mène au premier tour, mais Liouville prend l'avantage au second... las, une voix pour Cauchy le prive de la majorité absolue requise, et au troisième tour, c'est Libri qui l'emporte!

nombre de voix , au tour n°
1
2
3
pour Libri
12
11
13
pour Liouville 9
12
10
pour Cauchy 3
1


Liouville, profondément humilié (sic) démissionne de sa fonction -ou tout au moins veut le faire; on lira ci-dessous sa lettre et la réponse "de Normand" de l'Administrateur du Collège... De fait, il cessera son enseignement, mais il y reviendra triomphalement plus tard.



la lettre de Liouville...
... et la réponse



Mais en 1850, l'occasion d'une éclatante revanche se présente!

Libri, qui avait accédé aux plus hauts postes, avait été nommé, avec la confiance du premier ministre Guizot, secrétaire de la Commission du Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France. Qu'il fût un bibliophile passionné semblait garantir la plus grande qualification pour ce poste... hélas, sa passion n'avait pas de limite, et il abusa gravement de sa position... pour voler des livres et manuscrits précieux! Loin d'être un petit délinquant, il se comporta en voleur de grande envergure (détails ici). Pricvé de ses appuis et démasqué sous la Seconde République, il s'enfuit en Angleterre (avec une bonne part de son butin!), laissant libres ses sièges à L'Académie et au Collège de France.

Cette fois, Liouville fut élu professeur au Collège, et le décret signé par celui qui allait devenir le nouvel empereur.





extrait (haut et bas) de l'affiche des cours 1862-63 (affiche complète)

Liouville y donnera un enseignement annuel jusqu'à la limite des ses forces, à quelques mois de son décès. Il inaugure la série avec de la géométrie différentielle  ainsi  qu'un cours  sur les fonctions doublement périodiques  (ou fonctions elliptiques)  auxquels assisteront deux jeunes étudiants, Briot et Bouquet, qui rédigeront plus tard un traité sur le sujet....

Les questions abordées sont très variées (liste dactylographiée complète, Archives du Collège de France) mais il a ses sujets de prédilection: La Théorie des Nombres (11 semestres, exemple sur l'affiche 1857-58) -de plus en plus présente avec l'avancée en âge, Diverses Questions d'Analyse (15 semestres! exemple sur l'affiche 1862-63). Ce dernier titre a l'avantage d'être assez fourre-tout pour que le menu soit, comme on aime dire de nos jours dans les restaurants gastronomiques... selon l'humeur du chef!
Le niveau varie aussi, et il a tendance à décroître en fonction du temps... Gösta Mittag-Leffler aura l'occasion de le mentionner à un de ses correspondants:

"Il a fait un cours ce semestre au Collège de France sur les intégrales définies et la sommation des séries, mais n'est jamais allé au delà de quelques questions très élémentaires. Plusieurs fois, il s'est lancé dans des investigations plus délicates, mais s'est toujours interrompu pour une raison ou une autre."
G. Mittag-Leffler, lettre, 1874

Ses cours en Sorbonne (à al Faculté des Sciences) et ayu Collège lui prennent le plus clair de son temps, et il se plaint à plusieurs reprises de ne plus pouvoir se consacrer suffisamment à la recherche.


Dans les dernières années, sa santé décline, et il lui devient de plus en plus difficile d'assurer son cours. Ainsi, il doit se faire remplacer, pour l'année scolaire 1879-80, par Ossian Bonnet. Ce dernier sera aussi son successeur au Bureau des Longitudes.

Et la situation ne s'arrange vraiment pas l'année scolaire suivante. Habitué à souffrir, Liouville a fait face autant qu'il a pu pour honorer ses engagements d'enseignants... s'il fait la demande d'un congé, c'est que, vraiment, il n'en peut plus!


arrêté de remplacement par Bonnet
(archives du Collège de France)

buste d'Ossian Bonnet à l'X,
sculpté par Désiré Fosse

demande de Liouville, 1881

réponse officielle

Pour en savoir plus: B. BELHOSTE,  J. LÜTZEN,  Joseph Liouville et le Collège de France in  Persée, Revue d'histoire des sciences. 1984, Tome 37 n°3-4.

Sa première occasion de se présenter à l'Académie des Sciencesest le décès de Legendre, en 1833; sans doute est-il un peu tendre à cette péoque, et Libri est élu (c'est le début d'une rivalité qui, on l'a vu, se poursuivra au Collège de France). En 1836, il est un candidat bien pls solide, qui a fondé son journal et  commencé à publier conjointement avec Sturm les célèbres articles qui uniront leurs deux noms dans la mémoire des mathématiques. Et deux sièges sont vacants, l'un en Mécanique (Navier), l'autre en Géométrie (Ampère). Il se présente au second; sont également en lice Sturm, Duhamel et Lamé; le jour du scrutin, Duhamel et lui se retirent au profit de Sturm, qui est élu.

La vacance suivante est un siège de la section d'astronomie; après tout, il a quelques recherches en ce domaine (problème des 3 corps, forme des planètes fluides), et il est soutenu par Sturm et le secrétaire perpétuel, Arago: il est élu le 3 juin 1839. en deviient le président en 1870. Les honneurs de la Nation  accompagnent de près ceux du monde des sciences: il est fait chevalier de la légion d'honneur en 188, et commandeur en 1870.



Nomination au grade de Commandeur de la Légion d'Honneur (Archives de l'X)
Institut de France, siège des Académies (Paris)



Une carte de visite de Liouville, "membre de l'Institut".

à noter: l'adresse, rue de la Sorbonne. Une autre porte le n°7... Liouville devra déménager quand les vieilles maisons de la rue seront détruites, dont celle qu'il occupait, lors de la restructuration hausmannienne du quartier (le boulevard St-Michel est créé en 1855).
Aujourd'hui, la Sorbonne occupe officiellement les numéros 5 à 17!

... la Politique également, mais (un peu) aussi en Province...


 Collègue et ami de François Arago, Liouville partage ses vues politiques: dès 1840, il s'affiche républicain et partisan su suffrage universel (masculin, à l'époque). À cette époque, la Monarchie de Juillet, d'abord libérale, se raidit considérablement et les réunions politiques sont fréquemment interdites. Pour contourner cette censure, l'opposition organise des banquets réformistes. On y réunit de plus en plus de convives, on y porte des toasts à des idées de plus en plus novatrices, et, originalité qui mérite d'être signalée, ils ne se déroulent pas qu'à Paris! On en tient dans toutes les grandes villes de province, suivant l'exemple d'Arago  dans les Pyrénées Orientales. À l'image de son ami, Liouville accepte d'en présider un à Toul le 4 Octobre 1840. Ils s'intensifient en 1847-1848, et contribuent de façon notable à la Révolution.

Le Gouvernement Provisoire qui en est issu, présidé par Arago, fonde la Deuxième République, et convoque une Assemblée Constituante pour préparer sa Constitution. Liouville se porte candidat à Toul, où il est élu. (source des documents: BnF)



Où Liouville se présente comme un républicain "canal historique", mais un républicain modéré.

Le  Mathouristeremercie particulièrement les descendants du grand mathématicien qui lui ont fourni les photos qui suivent, témoignage de son activité de "représentant du peuple"




un dessin en 3D pour mieux comprendre le plan
(source: cette page Wilkipedia)
plan des sièges; la place de Liouville est repérée très discrètement (état du document fourni, sans surcharge électronique)
pour vous aider à repérer l'endroit sur le plan d'origine.
Il est voisin de Ledru-Rollin





L'assemblée fonctionne du 4 mai 1848 au 26 mai 1849; elle va céder la place à une Assemblée Législative -selon le même modèle que celui employé en 1789.

Liouville se présente à nouveau, mais les républicains sont balayés par le Parti de l'Ordre, qui va porter au pouvoir le prince Bonaparte... on connaît la suite: le coup d'état de 1852, et l'instauration du Second Empire qui let fin à cette éphémère république. Battu en 1849, Liouville met un terme à sa brève carrière politique et à son engagement de dix ans.


Mais les Vacances... à Toul!

Lorsqu'on s'approche par la route, on ne voit longtemps de la ville que... sa cathédrale!





De près, elle est tout aussi imposante.   Et c'est d'abord son reflet que l'on distingue dans une vitre avant de réaliser que l'on est... rue Liouville, celle qu'habitait Joseph après son mariage, et qui s'appelait alors rue du Salvateur.





Le Mathouriste était, quant à lui, arrivé par l'autre extrémité: la rue y est encore plus étroite, et... semble d'abord dépourvue de numéros côté pair. Ainsi, un ancien porche de charme (XVIème siècle) ne porte aucune indication (c'est en fait le n°4)... et puis, la rue s'élargit un peu, dans une tâche de lumière, et c'est là qu'on peut trouver le numéro 8, emplacement de la maison de Liouville. Le style disparate laisse penser que l'habitat a pu être remanié depuis; et si la rue est bien nommée -quoique sans rappel de qui il était, aucune plaque ne signale devant la maison qu'il a habité à cet emplacement.





La rue n'est pas longue: on voit de là l'autre extrémité.


Cest là qu'il passe ses étés et le début de l'automne, et nous en verrons lexcellente raison un peu plus loin. L'amitié nouée avec Dirichlet, entre mathématiciens d'abord, dès leur première rencontre à Paris en 1839, s'élargit aux familles, ainsi Joseph écrit :


"P. S. Madame Liouville prétend que vous lui avez promis autrefois de revenir en France avec Madame Diriclilet. Venez donc, venez donc. Vous verriez en France à  l'Observatoire, un grand et beau jeune homme, qu'on appelle Ernest Liouville."
Liouville à Dirichlet, 10/02/1853
"P. S. Madame Liouville sera très heureuse de connaître eenfin Madame Dirichlet. Ne craignez pas de nous déranger, nous avons de la place pour vous tous à la maison. Venez au plue tôt."
Liouville à Dirichlet, 21/08/1853

Regardez bien, c'est écrit très pâle, au crayon à papier, au bas de la photo... (source inconnue)

Les Dirichlet viennent à cette adresse; l'année suivante, ce sera à Paris. Témoignage de cette amitié dépourvue de manières mondaines, Dirichlet écrit aussi bien à son ami qu'à Madame Liouville, qui lui a apporté son aide dans des domaines autrement délicats que l'arithmétique...
 .
"J'ai trouvé Mad. Dirichlet assez souffrante à mon arrivée, les fatigues du déménagement et un refroidissement gagné plus tard ayant fortement agi sur ses nerfs [...] Elle se joint à moi poiir vous remercier des nombreuses commissions que vous avez bien voulu faire pour elle. Toul ce que j'ai apporté fait sensation ici et personne ne veut m'écouter lorsque je réclame une part, bien modeste sans doute, dans le choix des robes pour moi.."
Dirichlet à Mme Liouville, 25/04/1856

"Oui, Madame, après tant de services que vous avez daigné me rendre, j'ose vous en demander un nouveau qui aurait pour moi plus de prix encore que l'emplette de la fameuse robe qui fait toujours l'admiration de la société de Goettingue."
Dirichlet à Mme Liouville, 12/12/1856


La charmante madame Dirichlet... n'est autre que la sœur de deux musiciens célèbres: Felix et Fanny Mendelssohn. Elle est ici dessinée par Wilhelm Hensel, le mari de Fanny... dont le petit-fils est le mathématicien Kurt Hensel, père des nombres p-addiques. Quelle famille!

Dirichlet a tenté, mais en vain, d'arranger une visite en retour, chez lui, à Göttingen. Mais le casanier Liouville n'a guère envie de bouger, et il a un prétexte tout trouvé: il lui faut surveiller les vendanges à l'automne. En effet, il a hérité de son père un domaine de taille respectable.
Les vignes ont bien failli disparaître du paysage, et avec elles le Côtes de Toul (blanc ou rosé) que l'on peut en tirer. Quelques agriculteurs courageux ont œuvré pour ressusciter le vignoble moribond, et si nous ne sommes pas capables de vous montrer l'endroit exact du domaine de Liouville, du moins pouvons nous vous donner une idée du paysage dont le mathématicien était coutumier.




En se promenant dans le vignoble des Côtes de Toul

Alors, quand Liouville brandit son excuse en invitant son ami à une cure de raisins à Toul, son ami répond du tac au tac, et avec un humour tout mathématique:

"Je me dirigerai probablement vers la Bavière rhénane, le Palatinat, pays renommé pour la cure de raisins qui doit commencer cette année vers le premier septembre, si l'on peut s'en rapporter aux annonces dans les journaux. Gomme je me trouverai là sur la frontière de France,à 5 ou 6 heures de Toul, je n'ai pas besoin de vous dire si je suis tenté de faire une apparition dans la ville antique que vous appelez la capitale de la Lorraine. Je crois pourtant que j'aurai la force morale nécessaire pour m'abstenir et pour ne pas pécher de nouveau contre une loi qui doit être sacrée à nous autres surtout viri arithmetici comme nous appelait Jacobi, je veux dire la loi de réciprocité.
A propos d'arithmétique [...]
"
Dirichlet à Mme Liouville, 12/12/1856


 Il joue en effet sur le mot réciprocité: si bien sûr, il s'agit de la réciprocité de la visite, il fait en même temps allusion à la loi de réciprocité quadratique, célèbre résultat arithmétique de Gauss.



Ah, oui!
Peut-être vous demandez vous:  «Mais à quoi ça ressemble, le Côtes de Toul ? »

Eh bien...à ceci, après des travaux pratiques (avec modération, cela va sans dire). Nous ne savons pas si ce domaine était proche ou non de celui de Liouville; mais le vignoble n'est pas trop étendu, alors...
 

Dernières Adresses à Paris

Liouville a habité successivement plusieurs adresses à Paris, d'abord rue de la Sorbonne. Les deux dernières font partie de ce cœur du vieux Paris laissé intact par les percées Hausmanniennes (Liouville a évidemment connu cette métamorphose de Paris) et sont situées stratégiquement à proximité de ses divers établissements d'exercice: X, Collège de France, Sorbonne, Académie, sur la rive gauche, dans ce qui est aujourd'hui le 6ème arrondissement .

"J'ai dû changer d'adresse, la maison que j'occupais rue de la Sorbonne va être démolie. Me voici au 13, rue de Condé, fort mal installé, mes livres en désordre, ce qui est fort mauvais pour le travail. Ajoutez à tout cela que pendant ce déménagement, j'ai marié la plus âgée de mes filles, et vous comprendrez pourquoi il m'a fallu négiger les x et les y."
Liouville à Dirichlet, 10/05/1853




La rue de Condé (Paris). où Liouville s' installe en 1853...
... au n°13


Son dernier appartement est situé au 6, rue de Savoie, une rue étroite et calme, à l'arrière du quai des Grands Augustins.



Paris, quai des Grands Augustins le 6, rue de Savoie la rue de Savoie... entière

Ses dernières années seront dures, et même cruelles; il s'oblige à travailler jusqu'à la limite de ses forces, comme en témoigneront ses collègues qui lui rendent hommage à son enterrement:

"Depuis quelques années sa santé était fort altérée. La goutte l'affaiblissait, le chagrin l'accabla. M. Liouville eut le malheur des gens qui vivent longtemps il survécut à ceux qui étaient le soutien et la consolation de sa vieillesse. La perte inattendue de sa femme et de son fils lui porta le dernier coup. Dès ce moment, malgré les soins d'une famille nombreuse et dévouée, il ne fit que languir; ce n'était plus que l'ombre de lui-même;  cette année il ne put même achever son cours. Pour qui le connaissait, il n'y avait plus d'illusion à se faire sur la gravité de son état."

E. Laboulaye (Adminstrateur du Collège de France), Discours aux Obsèques de Liouville



"Depuis quelque temps, battu en brèche par les infirmités de l'âge, et surtout par des deuils de famille bien cruels,[...] M. Liouville s'était affaissé corporellement; cependant sa haute intelligence était restée intacte. Jusqu'au bout il a travaillé: il assistait encore mercredi dernier à la séance du Bureau des'Longitudes, dont il suivait les travaux avec le plus grand intérêt. Mais déjà il nous semblait aspirer àla délivrance. Cette heure est venue pour lui, subitement, le surlendemain."

H. Faye (Président de l'Académie des Sciences), Discours aux Obsèques de Liouville




Le registre de naissance porte une inscription marginale mentionnant le décès à Paris en 1882, ...
... avec une légère inexactitude sur le jour: ce n'est pas le 9 Septembre comme l'indique le registre (7e est une ancienne notation raccourcie- pour "Sept-embre"- en usage au XIXème siècle), mais le 8 Septembre 1882, comme le confirme sa pierre tombale et le faire-part.








Annonce des obséques le 11/09/1882 dans le Figaro de la veille.(Source: Gallica BnF)

En première page, mais dans un joli fatras titré "Échos de Paris", coïncée entre un sourire sarcastique sur un gouvernement réputé vacancier et une interview du musicien Auber.


L'Académie des Sciences ajourne sa séance prévue ce même jour, et les Comptes Rendus, tome 95 reproduiront l'intégralité des discours prononcés(p.468 & suiv.) au Cimetière Montparnasse, où il repose désormais. (Vous trouverez les deux discours sous ce lien). Énoncer les mérites du défunt est certes la loi du genre, mais il est on ne peut plus juste de souligner son engagement européen, tant par ses nombreux contacts et participations aux Asadémies étrangères) que le rayonnement de son journal.

"[...] notre savant Confrère y avait ajouté une illustration européenne; car, à l'étranger comme en France, on voyait en lui un des premiers Géomètresde notre époque. [...]

Il y a contribué par de magnifiques travaux sur les fonctions transcendantes, la théorie des nombres et la Géométrie pure, par son enseignement à la Sorbonne et au Collège de France,
[...] et enfin par sa grande collection mathématique, qui portait dans le monde entier le nom si français de Journal de Liouville. Il y a largement aidé aussi par les encouragements qu'il savait donner aux jeunes Géomètres en faisant valoir leurs travaux devant l'Académie. C'est ainsi qu'il a, pour ainsi dire, patronné les débuts de presque toutes nos illustrations d'aujourd'hui. Pourquoi ne citerais-je pas les Bertrand, les Hermite, les Le Verrier, les Serret, les Bour, les Bonnet, et tant d'autres éminents travailleurs qui font l'honneur de la Science française, et dont Liouville a accueilli et publié les travaux dans ses quarante volumes annuels?"

H. Faye (Président de l'Académie des Sciences), Discours aux Obsèques de Liouville



Sépulture de Liouville au Cimetière Montparnasse (Division 13, ligne 5 Nord, n°20 Ouest), à Paris

Pour terminersur une note émouvante, mais moins triste, voici (en eexclusivité) une photo inédite prise par sa fille à Toul: son verso nous dispense de légende! Grand merci à ses descendants, à qui  le Mathouriste la doit.





Bibliographie


La Référence absolue sur la vie et l'œuvre de Joseph Liouville:
  • J. LÜTZEN, Joseph Liouville 1809-1882: Master of Pure and Applied Mathematics (Springer Verlag)
et aussi...





Finalement, Liouville n'aura pas été totalement oublié, et ce n'est que justice.  Grâce à l'impulsion donnée par Norbert Verdier et au soutien de la SabiX, une célébration a eu lieu à l'École Polytechnique, déclinée en trois volets:
 - un colloque autour de la vie et l'œuvre de Liouville, le 29 Janvier 2010 (voir le programme);
 - une exposition de documents dans le Hall d'Honneur;
 


Liouville lives!
Des études, et LE livre de J. Lützen (en jaune, bien sûr)
 
- la réalisation d'un numéro (45)  du bulletin de la SabiX entièrement consacré à notre héros, et constitué d'articles inédits. (Sommaire en cliquant sur l'image, le numéro )


Aller à à la Page des Mathéamtiques de Liouville

Revenir en Haut de cette Page




Revenir à la Home Page du Mathouriste