Ampère ...

... était aussi mathématicien!

"En sciences, Ampère est avant tout un mathématicien."
Robert Locqueneux, Ampère , encyclopédiste & métaphysicien


 

Raoul Dufy, La Fée Électricité, Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris.
Ampère est le premier (le plus à gauche) dans le groupe de droite
La Fée Électricité, détail:
Ampère et Biot

Aucun doute: lorsqu'on évoque Ampère, on pense immédiatement à l'électricité. Avec raison, certes, puisqu'il lui fait prendre un virage décisif en 1820. Et pourtant... qu'on se reporte à l'exergue de cette page! Mais c'est si important, l'électricité... Peut-on trouver plus convaincu, plus convaincant que Lénine, en 1920? Car... ce n'est pas pour célébrer le centenaire des découvertes d'Ampère qu'il lance le célèbre slogan : "les soviets plus l'électricité". (Nous avons choisi de restituer sa formulation précise, et de laisser un peu de contexte autour, afin de mieux... l'éclairer. En ligne, si on le souhaite, le texte entier de son intervention)

"Nous avons convaincu notre classe paysanne que le prolétariat lui fournit des conditions d'existence préférables à celles que lui donnait la bourgeoisie, nous l'avons convaincue par la pratique. Lorsque le paysan, quoique grognant contre le régime bolchevik, l'a comparé en pratique avec les régimes [précédents], il est arrivé à cette conclusion que les bolcheviks lui ont assuré une existence meilleure. [...] Aujourd'hui, le prolétariat doit résoudre son second problème : montrer au paysan qu'il peut lui donner le modèle et l'exemple pratique de conditions économiques supérieures à celles où chaque famille paysanne exploite son champ à sa façon. [..] Se figurer que sous l'influence de notre propagande il changera sa façon de voir sur des questions aussi vitales, c'est pure sottise. Le paysan demeure en situation d'attente ; de la neutralité malveillante à notre égard, il est passé à une neutralité sympathique. [...]

Mais cela est trop peu, nous n'avons pas fait le principal : il faut montrer que le prolétariat restaurera la grande production et la prospérité économique du pays, et les restaurera de façon à faire profiter la classe paysanne d'un niveau économique supérieur.
[...]
En lien avec ceci, le congrès des Soviets entendra le rapport concernant l'électrification de la Russie, afin que le plan économique unique de rétablissement de notre économie nationale dont nous avons parlé soit solidement assis du côté technique. Sans instaurer en Russie une technique perfectionnée, plus élevée qu'auparavant, il ne saurait être question ni de rétablissement de la vie économique, ni de communisme. Le communisme, c'est le pouvoir des Soviets plus l'électrification de tout le pays.[...] Il est clair que sans cette transformation de notre industrie pour la mettre à la hauteur de la grande production mécanique contemporaine, le régime socialiste restera un ensemble de décrets, une alliance politique de la classe ouvrière avec le paysan, [...], un exemple pour toutes les puissances du monde, mais n'aura pas de base propre.

La tâche est énorme, le délai qu'elle réclame est infiniment plus long que le temps qu'il nous a fallu pour conquérir contre les incursions armées notre droit à l'existence. Mais nous ne redoutons point ce délai. Nous considérons déjà comme une conquête le fait d'avoir amené des dizaines et des centaines d'ingénieurs et de représentants de la science, pénétrés d'idées bourgeoises, à collaborer à la réorganisation de notre vie économique, de notre industrie et de notre agriculture, d'avoir éveillé en eux un intérêt pour ces réalisations, et d'avoir reçu d'eux une multitude de matériaux"

Lénine, Conférence de la Province de Moscou, 21/11/1920



Deux monuments à Lénine.
Moscou, parc des statues déboulonnées

À l'occasion du bicentenaire de la fondation par ce savant d'une nouvelle discipline unissant magistralement électricité et magnétisme, l'électrodynamique, le Mathouriste vous propose donc une balade dans son œuvre, en images mais aussi en compagnie de textes écrits par Ampère lui-même; car, outre ses mémoires scientifiques, ils nous a laissé une abondante correspondance (disponible en ligne sur Gallica) qui aide à cerner le personnage complexe comme le génie qui embrasse les mathématiques, la chimie, la philosophie et... non, nous ne l'oublierons pas, l'électrcité!

Ampère avant Ampère

De l'Enfant au Jeune Homme


Première page, extrait (CNRS/Acadéùie des Sciences)

C'est Ampère qui commence ainsi sa courte autobiographie manuscrite (16 pages, dont 8 de sa main). Oui, Ampère parle d'Ampère à la troisième personne, un peu comme le César de la Guerre des Gaules!

maison natale, hier...
(source: cartes postales anciennes)

...aujourd'hui
(source: JEP 2017)

De sa maison natale, devenue en 1931 musée de l'électricité, le Mathouriste s'était bien promis de vous ramener des images personnelles. Hélas, les restrictions de circulation et les fermetures de musées ont (provisoirement, il faut l'espérer) frappé ce projet du fatidique sceau "Non essentiel!", marque de la délicatesse gouvernementale en matière de Culture...

Ampère a appris à lire dans l'Histoire naturelle de Buffon; puis s'est nourri de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert.

"Le jeune Ampère sut bientôt lire et dévora tous les livres qui lui tombaient sous la main. L'histoire, les voyages, la poésie, les romans, la philosophie, l'intéressaient, presque à un égal degré. [...] La principale lecture du jeune écolier de Poleymieux fut l'Encyclopédie, par ordre alphabétique en vingt volumes in folio. [...]
La nature avait doué Ampère, à un degré éminent, de la faculté dont Platon n'a rien dit de trop en l'appolant une grande et puissante déesse. Ainsi, l'ouvrage colossal se grava-t-il tout entier et profondément dans l'esprit de notre ami;
[...]  Ces mystères d'une prodigieuse mémoire m'étonnaient moins que la force, unie à la flexibilité, que suppose une intelligence capable de s'assimiler, sans confusion et d'après une lecture par ordre alphabétique, les matières si étonnamment cvariées qui figurent dans le grand Dictionnaire de d'Alembert et de Diderot."

Arago, Éloge à l'Académie, 21/08/1839



Statue de Diderot à Langres, sa ville natale
quelques volumes de l'Encyclopédie, dans la parution chronologique
Musée de Langres (Haute Marne)
D'Alembert (au Louvre-Lens)

La Révolution sera responsable d'une première perte douloureuse, celle de son père, dans une vie qui ne l'épargnera pas.

l'époque de ses plus violents paroxysmes, en 1793, la tempête révolutionnaire pénétra jusque dans les montagnes de Poleymieux. Jean-Jacques Ampère s'en alarma. Pour échapper à un danger que ses sentiments d'époux et de père avaient peut-être grossi outre mesure, il eut la fatale pensée de quitter la campagne, de se réfugier à Lyon et d'y accepter les fonctions de juge de paix.
Vous savez, Messieurs, qu'après le siège de cette ville, Collot d'Herbois et Fouché y établirent, sous le nom malheureuselment spécieux de représailles, d'exécrables massacres quotidiens. Jean-Jacques Ampère fut une de leurs nombreuses victimes,
moins encore comme juge d'instruction[...] qu'à raison de la qualification banale d'aristrocrate dont l'affubla, dans son mandat d'arrêt, un homme qui, peu d'années après , devait avoir, sur les panneaux de son carrosse, des armoiries brillantes, et signer du titre de duc les trames qu'il ourdissait contre son pays et contre son bienfaiteur. [...]
Le coup était trop rude; il dépassait les forces d'un jeune homme de dix huit ans: Ampère en fut terrassé.  Ses facultés intellectuelles, si actives, si ardantes, si développées, firent place à un véritable idiotisme."

Arago, Éloge à l'Académie, 21/08/1839

Fouché, par René Berthon, vers 1806
Ministre de la Police Générale et...
... Duc d'Otrente


Il mettra un an à s'en relever, grâce à la fréquentation des poètes latins et de la botanique. Un autre élément va ouvrir une autre trop brève page de bonheur dans sa vie: la rencontre de la femme de sa vie, Julie Carron, qu'il épousera le 6 août 1799. Ce n'est pas un adepte du speed dating, c'est le moins qu'on puisse dire...  ce timide jeune homme laisse de touchants  souvenirs dans son journal (nous n'avons extrait que quelques  dates où il se "passe quelque chose"...  c'est à dire,  parfois, rien!)

EXTRAITS du Journal d' AMPÈRE

Journal d'Ampère, à la date cruciale du 3/07/1797
(reproduit in Correspondance, tome 1)

  imanche 10 avril [1796]. Je l'ai vue pour la première fois.
Samedi 20 août. Je suis allé chez elle, et on m'y a prêté les nouvelles Morali de Soave.[...]
Dimanche 11 septembre. En sortant de la messe j'allai rendre le premier volume de Bernardin; je fus d'abord avec M. de Corsans; j'appris que Julie reviendrait, mais avec Jenny.
Vendredi 16. Je fus rendre le deuxième volume de Bernardin, je fis la conversation avec elle et Jenny, je promis des comédies pour le lendemain.
Samedi 17. Je les portai et je commençai à ouvrir mon coeur.
Dimanche 18. Je la vis jouer aux dames après la messe.
Mardi I9. J'achevai de m'expliquer, j'en rapportai de faibles espérances, et la défense d'y retourner avant le retour de sa mère.
Samedi 24. Je fus rendre le troisième volume de Bernardin , je rapportai le quatrième, la Dunciade et un parapluie.
Lundi 26. Je fus rendre la Dunciade et le parapluie, je la trouvai dans le jardin sans oser lui parler.
Jeudi 6 octobre. Je fus rendre ce tome et prendre le second, je me trouvai seul avec elle sans oser lui parler; [...]
Mardi 18. [...] je m'ouvris entièrement à la mère qui ne parut pas vouloir m'ôter toute espérance.
Vendredi 28. Je vis Julie dans la cour en arrivant; mais des hommes, par malheur, déchargeaient une charrette; j'entrai, je trouvai une Mme Petit et je n'osai rien dire. J'avais porté le sixième volume.
Lundi 31. Grande compagnie, occasion du jardin manquée, tapisserie; j'avais porté le septième; j'oubliai le huitième et mon parapluie.
Mercredi 9 novembre. Je reparlai; Julie me dit de venir moins souvent.
Samedi 12. Mme Carron étant sortie, je parlai un peu à Julie qui me rembourra bien,et sortit; Élise me dit de passer l'hiver sans plus parler.
Mercredi 16. La mère me dit qu'il y avait longtemps qu'on ne m'avait vu; elle sortit un moment avec Julie [...] . Avant de sortir,Julie m'apporta avec grâce les Lettres Provinciales.
Mardi 17 janvier. Julie n'était point encore venue, j'ai encore beaucoup parlé à sa soeur.
Vendredi 27. Elle était enfin arrivée. D'abord la mère n'y était pas; en faisant semblant de regarder des vignettes, je me mis à ses genoux; sa mère vint et me fit asseoir près d'elle.
Lundi 30. Je ne trouvai que les deux filles; la mère m'appela un moment après dans le cabinet, où elle me dit de ne plus venir si souvent, et mille autres choses désespérantes.
Vendredi 12 mai. Je fus rendre Bernis et Bernard. Julie me dit d'aller chez ma tante; j'obéis et revins avec elle prendre La princesse de Clèves qu'on m'avait promis, nous goûtâmes de brioches et je promis Les mémoires de Calas.

LUNDI 3 juillet 1797 . Elles vinrent enfin nous voir à 3 h. 3/4. Nous fûmes dans l'allée, où je montai sur le grand cerisier, d'où je jetai des cerises à Julie, Élise et ma soeur. Tout le monde vint ensuite. Je cédai ma place à François, qui nous baissa des branches où nous cueillîmes nous-mêmes, ce qui amusa beaucoup Julie. On apporta le goûter, elle s'assit sur une planche à terre avec ma soeur et Élise, et je me mis sur l'herbe à côté d'elle; je mangeai des cerises qui avaient été sur ses genoux. Nous fûmes tous les quatre au grand jardin, où elle accepta un lis de ma main. Nous allâmes ensuite voir le ruisseau; je lui donnai la main pour sauter le petit mur, et les deux mains pour le remonter. Je m'étais assis à côté d'elle, au bord du ruisseau, loin d'Élise et ae ma soeur. Nous les accompagnâmes le soir jusqu'au moulin à vent, où je m'assis encore à côté d'elle pour observer nous quatre le coucher du soleil qui dorait ses habits d'une lumière charmante; elle emporta un deuxième lys que je lui donnai en passant pour s'en aller dans le grand jardin.


Le contrat de mariage indique sa profession sans la moindre ambiguïté:



L'Envol d'un Mathématicien

Encore faut il vivre de ce noble métier... en 1802, il se fait engager à l'École Centrale de Bourg-en-Bresse. Voici le vécu de ses débuts, en version officielle et en version privée

Discours inaugural d' AMPÈRE (12 mars 1802 / 21 ventôse) [début, extrait]

" Citoyens,
Les brillantes découvertes qui viennent de se succéder si rapidement dans la science dont l'enseignement m'est confié, offrent peut-être l'exemple le plus frappant des progrès de l'esprit humain dans les siècles modernes. La physique est peut-être, dans l'état actuel de nos connaissances, celle qui nous présente le plus de connaissances variées, de faits intéressants et d'utiles applications. Mais sa vaste étendue et le peu d'ensemble qui existe encore entre ses diverses parties, laissent à ceux qui l'étudient de nombreuses difficultés à surmonter, des incertitudes à éclaircir, des systèmes à adopter ou à combattre, un ordre régulier à mettre dans cet amas informe de découvertes sublimes que le temps n'a pas encore réunies, dont le travail assidu de plusieurs siècles n'a point, comme dans d'autres sciences, comblé les intervalles et rétabli la chaîne des idées intermédiaires que le génie franchit sans s'en apercevoir. Frappé de ces réflexions et plein du désir de faire connaître à ceux qui suivront le cours que je vais commencer tout ce que la physique a fait et tout ce qu'elle peut faire encore pour la gloire et le bonheur de l'humanité, je n'oserais m'engager dans la carrière qui s'ouvre devant moi si je ne comptais sur l'indulgence de ceux que l'amour des sciences a réunis dans cette enceinte. [...]
Dans la vue de simplifier l'étude de la physique autant qu'il me serait possible, il m'a
semblé que je devais d'abord m'attacher à en donner une définition précise, qui pût me servir de guide dans le choix des vérités que j'avais à développer, et les considérations que je devais négliger comme étrangères à cette science. [...] "


Plan manuscrit de Bourg-en-Bresse,
dressé par Ampère pour Julie

(
Visages de l’Ain n° 22-1953, source )


"
Je viens de faire l'ouverture de mon cours, ma bonne amie. J'avais fait un discours que j'ai lu et qui a été bien accueilli, mais assez mal entendu parce que la salle est très vaste et que l'on m'avait placé très loin des auditeurs. Je me mettrai plus près à l'avenir quand je donnerai leçon. Je ne suis ni content ni fâché. Mais, après avoir été dans une vive agitation tout le jour, et surtout à mesure que le moment approchait, je me trouve subitement dans un calme apathique si complet qu'il a causé dans toutes mes idées une des plus singulières révolutions que j'aie éprouvées de ma vie. Une seule idée est restée dans mon coeur, c'est le regret de t'avoir quittée, comme je l'ai senti plus vivement quand tout ce tourbillon qui m'agitait depuis huit jours a été dissipé."

Ampère, lettre à Julie, 12/03/1802
*********
" J'ai donné hier ma première leçon, ma bonne amie et je crois m'en être assez bien tiré, quoique j'espère faire encore mieux à l'avenir, car j'étais, au commencement surtout, un peu tremblant et embarrassé. Ce matin, je me suis amusé à relire les lettres où ma Julie a peint les sentiments qu'elle éprouvait après mon départ. Ces sentiments et ces lettres sont tout ce quie reste de mon ancien bonheur. Ce serait là ma seule consolation si je n'avais pas l'espoir que Pâques viendra terminer notre séparation. Comme il fait aujourd'hui le plus beau temps du monde, j'ai fait le projet de sortir de la ville [.. Je porterai le paquet de toutes les lettres que j'ai reçues de toi depuis que je suis ici et je chercherai un endroit champêtre pour les lire plus à loisir qu'ici [...]
Pauvre Julie, que deviens-tu à Lyon avec mon petit enfant ? Il se porte bien du moins; mais toi ? Je suis toujours en peine de ce que tu m'as dit, il y a déjà quelque temps, que tu étais dérangée; [...]  Cela m'inquiète beaucoup et je te prie de me dire au juste ce qu'il en est, ce que tu en penses, si tu fais toujours quelques remèdes et lesquels est-ce ?
 
Ampère, lettre à Julie, 18/03/1802

Apparaît ici un souci constant dans cette correspondance: l'état de santé d'une épouse fragile, qui décèdera l'année suivante.
Il cherche bien sûr à revenir plus près d'elle, à Lyon, et pour cela, deux moyens: publier et se faire remarque des membres de l'Institut en inspection dans les Écoles Centrales.

" Depuis que je consacre tout mon temps à d'arides calculs, mes journées passent avec une telle rapidité, quoique assez ennuyeusement, que je ne me trouve pas un moment de liberté. Je voulais t'écrire hier, ma bonne amie; mais, comme j'étais dans un tas de calculs, je condamnai mon coeur au jeûne rigoureux qu'il éprouve quand je passe un jour sans lui accorder son pain quotidien, c'est-à-dire'un peu de bout de journal. Pauvre journal, qu'il est sec et qu'il doit t'ennuyer ! Tous mes jours se ressemblent, je t'aime, je bois et mange, dors et donne mes leçons. Le lendemain, c'est à recommencer."

Ampère, lettre à Julie, 14/05/1802

"Je n'ai cessé hier d'écrire sur les mathématiques. L'ouvrage que j'ai entrepris avec M. Clerc et dont je ne serais jamais venu à bout tout seul, avance tellement qu'il sera dans un mois prêt à être imprimé. Il sera intitulé : Leçons élémentaires sur les séries, et autres formules indéfinies
."

Ampère, lettre à Julie, , 22/05/1802

Et cela ne va pas sans émotions!

" Comment t'expliquer, ma bonne amie, le désagrément que j'ai eu aujourd'hui ? J'espère être encore à temps pour réparer mon étourderie. Je sais combien de fois tu m'as répété de relire mon ouvrage, je n'ai jamais eu le temps. Eh bien, une faute m'était échappée dans le calcul des pages 18 et 19; j'ai eu beau relire les épreuves; je ne m'en suis point aperçu. Aujourd'hui, je reçois une lettre de Lacroix et de Laplace; le premier me fait les remerciements de l'Institut; le second, en post-scriptum de la lettre de Lacroix, fait l'éloge de mon ouvrage, mais reprend sévèrement cette faute, et avec des expressions qui me font craindre qu'il l'attribue à ma fausse manière de raisonner plus qu'à une distraction et j'avoue que j'ai répété deux fois cette faute parce que j'ai recopié un faux résultat sans le vérifier, ce qui m'aurait fait découvrir mon erreur. Dans le moment où j'ai lu cette lettre, j'ai cru lire ma condamnation; j'ai vu ma place au Lycée et ma réputation perdue; mais j'ai été rassuré en faisant attention que, cette faute n'influant en rien sur le reste de l'ouvrage,je pouvais tout réparer en écrivant d'abord une lettre à M. de Laplace, où je le remercierai de ce qu'il a examiné mon ouvrage et corrigé mon erreur, dont je conviendrai franchement en m'excusant, s'il est possible, sur le peu de temps que j'ai eu pour corriger et composer cet ouvrage, que je dirai avoir été imprimé en partie à Lyon pendant que j'étais encore à Bourg et occupé d'un cours de physique.
[...]
Mais ma réputation, ma fortune même en dépendent. Si je ne puis pas montrer mon ouvrage corrigé, on croira partout qu'il n'a pas le sens commun, et cela pour une seule erreur, et quoique cette erreur se trouve rectifiée plus loin dans la solution du problème qui suit celui où je l'ai commise; car Laplace, pour la découvrir, n'a eu qu'à rapprocher du passage erroné celui où je donnais le véritable résultat. Que cette lettre va te faire de la peine, ma charmante amie! Mais pouvais-je te cacher une seule de mes pensées et comment, sans toi, réparer ma faute ?Tu sens quelle célérité il faudrait mettre dans tout cela; il faudrait que je pusse envoyer des exemplaires corrigés à l'Institut et à M. de Laplace avant que MM. Delambre et Villars achevassent l'organisation du Lycée de Lyon."

Ampère, lettre à Julie, 14/05/1802

Et tout cela, finalement, pour un ouvrage qui ne paraîtra pas! Du côté de l'inspection, heureusement, les choses se présentent sous de meilleures auspices


"
Je n'ai pas eu un moment de liberté depuis samedi. Je vais te raconter tout ce qui s'est passé. MM. Delambre et Villars arrivèrent samedi à 4 h. 1/2.
[...]
On a examiné les élèves dans ma chambre hier depuis 10 h. 1/2 du
matin jusqu'à 4 heures; aujourd'hui depuis 9 h. 1/2 jusqu'à 4h. 1/2. Je n'ai pas quitté, pendant tout ce temps, MM. Delambre et Villars. Mes élèves n'ont pas mal répondu sur les mathématiques; mais ils avaient trop peu de leçons pour être forts. Ils l'ont été extrêmement sur tout le reste et les inspecteurs ont été si enchantés qu'après l'avoir témoigné de mille manières, ils ont fini par dire à MM. Dupras et Olivier qu'ils n'avaient point encore trouvé de pension qui valût la leur. J'ai causé aujourd'hui une bonne demi-heure avec M. Delambre dans un intervalle d'examen, à peu près autant en deux ou trois fois avec M. Villars. Juge comme je suis content de me voir sûr du Lycée et de savoir que tu te portes mieux."

Ampère, lettre à Julie, 8/03/1803

"
Quant au Lycée, il est sûr que j'y serai. Voici une nouvelle circonstance, car je n'apprends que par hasard ce que MM. Delambre et Villars ont dit de moi. M. Delambre, parlant le lendemain de la séance de la Société d'émulation où j'avais lu mon mémoire [a dit] que Laplace ni Lagrange ne désavoueraient pas ce mémoire, s'ils en étaient les auteurs. Je te dirai que j'ai fait une  nouvelle découverte ce matin, au-dessus de tout ce que j'avais fait jusqu'à présent. Oh, oui, bien au-dessus; si elle me conduisait au but que j'en attends, je serais immortalisé."

Ampère, lettre à Julie, , 17/03/1803

portrait  de Delambre,
à l'Observatoire de Paris



D'ailleurs, il y a d'autres éléments en sa faveur: un Mémoire sur le Calcul des Variations, et surtout un mémoire sur les probabilités, où il résout le problème de la ruine du joueur. Ce travail est remarqué, et au delà de la mutation à Lyon, contribuera à sa nomination à l'École Polytechnique

"L'introduction de considérations morales dans la théorie mathématique du jeu en a certainement affaibli l'importance, la clarté, la rigueur. On devait donc regretter que Buffon en ait fait usage pour arriver à la conséquence qu'il énonce ainsi: « Une longue suite de hasards est une chaîne fatale, dont le prolongement amène le malheur »  en termes moins poétiques: un joueur de profession court à une  ruine certaine.
Cette proposition est d'une haute importance sociale:  Ampère sentit le besoin de la démontrer, sans rien emprunter aux considérations dont l'illustre naturaliste et le non moins célèbre Daniel Bernoulli avaient fait usage.  Tel fut le principal objet del'ouvrage qui parut à Lyon, en 1802 [...]; l'auteur s'y montre calculateur ingénieux et exercé. Ses formules ont de l'élégance
[...] La question principale s'y trouve du reste complètement résolue. La marche que suit Ampère est claire, méthodique, à l'abri de toute objection. "

Arago, Éloge à l'Académie, 21/08/1839


" J'ai su aujourd'hui que M. Delambre avait dit à un dîner chez le préfet :  « Vous allez perdre M. Ampère, c’est un homme d’un mérite supérieur ; il a envoyé un mémoire à l’Institut et l’avis unanime des membres de la Section de mathématiques est que cet ouvrage ne pouvait venir que d’une tête forte » Je te rapporte mot à mot la phrase comme on me l'a rendue. Je suis toujours bien inquiet de ta santé."

Ampère, lettre à Julie, 16/03/1802

Le 4 juillet 1803, le lycée ouvre à Lyon; il y donne le 5 sa première leçon; et Julie meurt lr 13. Désormais, les choses vont aller vite, toujours grâce à Delambre


Positions Parisiennes : toujours et plus que jamais Mathématicien (mais aussi Chimiste)





".Je t'écris de ma chambre à l'École Polytechnique; j'y loge depuis hier; c'est entre ces quatre murs que ma vie va désormais couler. A chaque ligne j'entendais trembler l'atmosphère sous les coups du canon des Invalides, dont l'hôtel est à deux cents pas de l'École. Si tu avais vu ce monument qu'éleva à l'humanité ce grand siècle de Louis XIV, tu saurais de combien de souvenirs il est habité. Il est 3 heures. L'Empereur est à Notre-Dame, et cet instant est probablement celui de son couronnement. Ce soir il passera sur les boulevards, devant les fenêtres de Carron. Je dois y aller et je verrai toute cette pompe. "

Ampère, lettre à Élise, sœur de Julie, , 2/12/1804

Précision sans doute utile: l'École est encore logée, à cette date, dans une annexe du Palais Bourbon. Le fait n'est pas nouveau; les élèves, même quand ils aiment leurs professeurs, sont attentifs à leurs petits défauts, tics et manies (que chaque lecteur se souvienne de son passage au lycée!). Peu attentif à sa mise, distrait et affligé d'une forte myopie à l'origine de sa légendaire représentation, lunettes syur le front, le nouveau répétiteur est une cible de choix


source: bibliothèque de l'Institut
"Mal conseillé par des amis peu au courant des choses d’ici-bas, Ampère se présenta, dans l’amphithéâtre d’une école presque militaire, en habit noir à la française, œuvre malheureuse d’un des moins habiles tailleurs de la capitale ; et pendant plusieurs semaines, le malencontreux habit empêcha plus de cent jeunes gens de prêter attention aux trésors de science qui se déroulent devant eux. Le répétiteur craint que les caractères tracés sur le tableau noir ne soient peu visibles pour ses auditeurs les plus éloignés ? Il croit devoir les consulter, ce qui semble bien naturel. Eh bien, à la suite du colloque ainsi établi avec ces jeunes gens réunis en grand nombre, plu­sieurs d’entre eux eurent l’espièglerie, en argumentant toujours de la faiblesse de leur vue, d’amener par degrés le bienveillant professeur à des caractères d’une telle grosseur que le plus vaste tableau, loin de suffire à des calculs compliqués, n’aurait pas contenu seulement cinq chiffres. Tout entier enfin aux déve­loppements d’une théorie difficile, il lui arrive dans le feu de la démonstration, de prendre le torchon sau­poudré de craie pour son mouchoir. Le récit, grossi, amplifié, de cette méprise, assurément bien inno­cente, se transmit de promotion en promotion ; et quand Ampère paraissait pour la première fois devant l’une d’elles, ce n’était plus le savant analyste qu’elle cherchait de préférence : elle guettait plutôt le moment où il l’égaierait par la distraction, dès longtemps promise, et dont elle était très peu disposée à le tenir quitte."

Arago, Éloge à l'Académie, 21/08/1839

Rapidement, il est promu professeur d'Analyse, succédant à l'auteur du grand traité d'analyse de l'époque, Lacroix. Voilà de quoi mériter son buste à l''École!



Liste  des Professeurs d'Analyse de l'X
buste dans le Hall d'Honneur de l'X

Petite remarque du Mathouriste : il existait une version encore plus grandiose de cette liste impressionnante à l'ancienne École Polytechnique: elle bordait en colonne le tableau du Grand Amphithéâtre, à gauche peut-être, tandis qu'à droite se trouvait, symétriquement, la liste non moins prestigieuse des professeurs de mécanique; l'ensemble dominé par les armes et la devise: "Pour la Patrie, les Sciences et la Gloire". Cet amphithéâtre a été sauvagement détruit après le transfert de l'École à Palaiseau, et, de façon assez incroyable (car l'X a, dans l'ensemble, soigneusement archivé tout ce qui documente son histoire), il n'en existe aucune photographie! (Nous l'avons vérifié auprès de la Bibliothèque)

Peut-être avez-vous envie de vous faire votre idée sur son cours?
Rien n'est plus facile, vous le trouverez en ligne sur le site de la SaBiX (Société des Amis de la Bibliothèque de l'X), dans le cadre du projet de numérisation NumiX

première page des Leçons de Calcul Différentiel et Intégral


S'il ne fut sans doute pas le plus clair des professeurs, son enseignement marqua ses meilleurs élèves, plus capables que d'autres de profiter de ses passages les plus elliptiques, alors qu'il s'attardait sur des choses faciles. La meilleure preuve en est l'hommage que lui rend plus tard son élève Cauchy, lorqu'il devient à son tour professeur à l'École. Hommage d'autant plus remarquable que Cauchy avait le curieux travers, malgré son extraordinaire fécondité, de s'attribuer les  découvertes des autres...



 
Le célèbre cours de Cauchy (1826) et le buste de son auteur à l'Institut

Mais à Polytechnique, Ampère, tout matheux qu'il est, fait aussi ... de la chimie! Il retrouve, avec un peu de retard (1814) mais en toute indépendance, la loi établie par Avogadro en 1811, dénommée depuis, en France tout au moins, loi d'Avogadro-Ampère, qui sera synthétisée, avec celles de Mariotte, de Charles et de son collègue Gay-Lussac, dans la loi des gaz parfaits de Clapeyron (1837).

 des volumes égaux de gaz parfaits différents, aux mêmes conditions de température et de pression, contiennent le même nombre de molécules

Il mérite donc bien ce beau médaillon sur la façade de l'ESPCI, à Paris... n'oubliez pas de lever les yeux lorsque vous longez la grille, rue Pierre Brossolette, où sont présentés de toujours intéressants  panneaux de vulgarisation qui captent légitimement votre attention!



Le médaillon sur la façade de l'ESCPI (rue Pierre Brossolette)

Mais qu'il est dur (même pour un génie polymathe comme Ampère), de courir deux lièvres à la fois, l'un mathématique, l'autre chimique, en vue de postuler à l'Institut! Il se confie souvent à son ami Bredin, directeur de l'École royale vétérinaire,à Lyon.

"Qu'il y a longtemps, cher ami, que je ne t'ai pas écrit ! [...]Voici ce qui m'est arrivé! Je travaillais à un mémoire que je devais lire à l'Institut sur les différentielles partielles. J'en étais peu content moi-même quoiqu'il y eût bien des choses nouvelles; mais je sais qu'elles ne plairont pas aux Bonapartes des mathématiques, et ils en seront seuls juges.
On me dit tout à coup que M. Dalton s'occupe en Angleterre de la manière dont les molécules des corps s'arrangent dans les combinaisons chimiques. Tu sais que j'avais écrit un mémoire là-dessus au mois de janvier dernier. Voilà que la peur me saisit qu'il ne trouve et ne publie avant moi une partie de ce que j'ai fait. Je parle de ma crainte. On me conseille de faire un extrait en forme de lettre à M. Berthollet du mémoire de janvier et qu'on l'imprimera dans les Annales de Chimie. On le dit à M. Berthollet qui l'agrée fort. Je commence l'extrait où je croyais qu'il y avait pour deux jours de travail, peut-être trois. Ce mémoire était un chaos informe. Je n'y voyais plus rien, ayant perdu de vue ses idées. Enfin j'y renonce. Le rédacteur des Annales de Chimie va se plaindre à M. Berthollet, lui dit qu'il a compté dessus et qu'il se trouve à court. M. Berthollet me trouve à l'Institut et me le dit. Je rentre, je prends un copiste pour écrire sous ma dictée. Je le loge bientôt chez moi pour travailler très tard le soir et de grand matin. Mais j'oublie le mémoire de mathématiques, je perds presque tout espoir d'arriver à l'Institut, et voilà trois semaines que je dicte, je donne à mesure à l'impression; la moitié est à l'impression, le reste est enfin à peu près achevé; mais cet extrait est aussi long que le mémoire dont il est sensé être tiré . Personne ne le lira. On n'y comprendra rien."

Ampère, lettre à Bredin, 10/04/1814





Berthollet par Dutertre
dessiné lors de la Campagne d'Egypte
(exposition aux Invalides, Paris 2009)


On remarquera avec un certain amusement la différence de ton (certes obligée...) entre la version officielle et la lettre effarée à Bredin... que celui à qui pareille mésaventure n'est jamais arrivé jette la première pierre; c'est qu'il n'a jamais écrit. L'auteur de cette page a eu, pour cette modeste présentation, bien souvent la même impression.

Quant au Mémoire sur les Équations aux Dérivées Partielles, il va subir, symétriquement, un sort semblable: Ampère présente trois portionssà l'Institut les 11/07/1814, 12/09/1814 et 17/10/1814 et se prépare pour un quatrième épisode, confie-t-il à Bredin. "En feuilleton", à la fois parce qu'il est, une fois de plus, en retard sur son avancement projeté, et surtout parce qu'il redoute de se faire doubler, pour l'élection à un fauteuil de l'Institut, par un de ses anciens élèves... Cauchy, bien évidemmment, si réputé pour avoir inondé l'Académie de notes sur tous les sujets! En outre, le sujet est assez neuf, d'autant qu'il tente une approche générale: rappelons si nécessaire que l'Académie a reproché à Fourier en 1811, à mots à peine voilés, un manque de généralité dans sa façon de résoudre l'équation de la chaleur. Il paraîtra en deux livraisons, aux Cahiers de l'École Polytechnique.


"Comment me pardonneras-tu, cher ami, d'avoir été si longtemps sans t'écrire ? Mon mémoire pour l'Institut en est cause; j'en ai lu les trois quarts il y a quinze jours; je voulais l'achever pour ce jour-là. Je ne mettais pas un seul instant à une autre occupation. Je n'en lus qu'un préambule. On l'a renvoyé à des commissaires, Legendre, Poisson, Arago. Je les ai prévenus que la fin n'y était pas, en la promettant pour huit jours après; en voilà plus de quinze et il s'en faut bien que j'aie fini. Dans trois semaines finissent les six mois de délai qu'on a mis dans le temps à la nomination. Sera-t-elle encore renvoyée à six mois ? Nommera-t-on ? et sera-ce moi ou un autre ? Voilà ce qui va faire une grande décision dans ma vie, et qui dépendra d'un jour, d'une heure de travail de plus ou de moins pendant le peu de temps qui me reste."

Ampère, lettre à Bredin, 10/08/1814





Cher ami,
 je suis un misérable de ne pas t'avoir écrit depuis si longtemps. Mais je n'ai
pas mis un instant de tout le temps dont je pourrais disposer qu'à écrire, écrire ou faire des calculs jour et nuit afin de lire avant la nomination le mémoire que j'ai lu lundi dernier à l'Institut. C'est le quatrième de cette année. Je craignais que [l'élection] ne se fît  avant qu'on eût pu l'examiner et en faire le rapport. Car le dernier délai devait finir dans dix jours, mais il paraît qu'on différera encore, et alors je ferai encore un autre mémoire. J'ai de la matière pour deux ou trois. J'ai un concurrent très appuyé dans un de mes élèves de l'École Polytechnique, aujourd'hui ingénieur des Ponts et Chaussées; il est fils du secrétaire de la Chambre des pairs, etc... Si je cessais de fournir des mémoires de mois en mois jusqu'à la nomination, je serais facilement culbuté. 
Je ne travaille plus guère qu'aux mathématiques; mais, heureusement, après tous les malheurs qui me sont arrivés, que plusieurs objets scientifiques se partagent mon esprit de manière à laisser peu de temps à des souvenirs déchirants qui, sans cela, ne me laisseraient pas un instant de repos. Toutes mes idées sur la chimie ont, comme tu sais, triomphé de toutes les objections.

Ampère, lettre à Bredin, 13/10/1814


Passé le temps des angoisses, l'affaire se termine bien: le 28 novembre, il est élu au premier tour de scrutin.


L'Institut, sous la lumière électrique, va accueillir...
le futur Newton de l'électricité!

"Mon bon ami, la présentation pour la place de mathématiques vacante à l'Institut a eu lieu aujourd'hui. Je suis le premier sur la liste , ce qui rend infiniment probable le résultat favorable pour moi de la nomination qui aura lieu lundi prochain. Je suis plein de joie, et j'ai calculé que, si tu m'écris de suite, je recevrai ta lettre en même temps que je l'apprendrai, en sorte que tous les bonheurs me viendront à la fois."

Ampère, lettre à Bredin, 21/11/1814.
" Mon bon ami, j'ai reçu ta lettre lorsqu'il n'y avait pas un quart d'heure que je savais que la nomination avait eu lieu en ma faveur dès le premier tour de scrutin. Tout s'est ainsi réuni pour que je fusse momentanément bien heureux."

Ampère, lettre à Bredin, 30/11/1814


Il sera aussi, plus tard,  chargé d'un cours au Collège de France.

Ampère électrique

Oui, osons l'adjectif, comme nous parlons de Miles électrique, pour la fameuse période 1968-1875 du grand trompettiste... d'ailleurs, elle sera sensiblement de la même durée, puisqu'elle s'étend de 1820 à 1826. 7 ans de toute une vie, ce n'est pas considérable; pourtant, c'est à celle-ci qu'il doit sa juste célébrité.

Il a bien failli s'intéresser à l'interaction du magnétisme et de l'électricité dès 1802, alors qu'en poste à Bourg en Bresse, il se préoccupe d'abord de trouver un poste à Lyon. Le Premier Consul Bonaparte vient d'être ébloui par la présentation qu' a faite Alessandro Volta de sa pile, le 7/11/1801, à Paris, à l'Insitut, dont il est -ne l'oublions pas!-lui-même membre. Dans la foulée, soucieux de sa gloire de leader éclairé, il a créé un prix attribué à celui qui fera accomplir un nouveau pas, aussi important, à la science électrique naissante. Un Ampère enthousiaste l'écrit à son épouse


Volta présente sa pile à Bonaparte
Musée d'histoire naturelle La Specola, Florence
" Mille remerciements à ton cousin l'aîné de ce qu'il m'a envoyé ; c'est un prix de 60 000 francs proposé par Bonaparte et que je tâcherai de gagner quand j'en aurai le temps. C'est précisément le sujet que je traitais dans l'ouvrage sur la physique que j'ai commencé d'imprimer; mais il faut le perfectionner et confirmer ma théorie par de nouvelles expériences. Mille choses pour moi à ta maman, à Élise, vingt baisers au petit, et tout mon être à toi ! Oh, mon amie, ma bonne amie, si M. de Lalande me fait nommer au lycée de Lyon et que je gagne le prix de 60 000 francs, je serai bien content ; car tu ne manqueras plus de rien [...] Je t'embrasse ; tout ce que j'aime, tout ce qui fait mon bonheur, c'est toi."

Ampère, lettre à Julie, 25/07/1802

Volta et sa fameuse pile
dans
La Fée Électricité

Son souci perfectionniste en retient l'impression in extremis... Sans doute pense-t-il que ce qui aurait suffi pour le premier essai d'un jeune auteur qui veut se faire connaître est un peu juste s'il s'agit d'affronter d'autres concurrents sérieux dans un concours... et l'ouvrage ne paraîtra jamais. Quelques extraits manuscrits en ont été retrouvés



"J'ai donc pu me flatter que le hazard [sic] m'avait favorisé d'une de ces idées qui ouvrent aux physiciens une carrière nouvelle, lorsqu'après avoir réduit tous les phénomènes de l'aimant et de l'électricité à un principe unique, j'ai vu naître de ce principe les explications les plus simples et les plus naturelles [...]."

Ampère, fragment du Mémoire inédit de 1801


C'est le moment où, du poste lyonnais à celui de répétiteur à l'École Polytechnique (1804), Ampère va se consacrer plutôt aux mathématiques, mais aussi à la chimie, à la métaphysique, sans pousser plus avant cette géniale intuition.

Et puis, voilà qu'en avril 1820, Ørsted découvre la curieuse déviation de l'aiguille d'une boussole sous un fil orienté selon l'axe Nord-Sud et parcouru par un courant. La boussole dévie vers l'Ouest, ce qui est inédit: pour la première fois, une action physique ne se fait pas selon la ligne qui joint les "participants" (comme dans le cas de la gravitation)



appareil de démonstration, 1850
Musée Galilée, Florence
timbre danois commémoratif à l'occadion du bicentenaire d'Ørsted; son portrait par Dufy dans la Fée Électricité




"La découverte d'Ørsted arriva à Paris par la Suisse. Dans notre séance hebdomadaire du 11 septembre 1820, un académicien , qui venait de Genève, répéta devant vous les expériences du savant danois. Sept jours après, le 18 septembre, Ampère vous apportait déjà un fait beaucoup plus général que celui du physicien de Copenhague. Dans un si court intervalle de temps, il avait deviné que deux fils parcourus par des courants électriques agiraient l'un sur l'autre"

Arago, Éloge à l'Académie, 21/08/1839

Détail amusant, Arago feint la modestie, en ne se nommant pas: c'est lui qui a assisté à la démonstration genevoise par le physicien Gaspard de la Rive, son ami. Arago se trouvait sur place, invité par un autre collègue. Devant les faits, il change son scepticisme initial en véritable enthousiasme, avec "presque l'intolérance d'un nouveau converti", dira Humboldt. Il presse ses amis Ampère et Fresnel de travailler à éclaircir le phénomène; on reconnaît bien là un Arago plus soucieux d'aiguiller ses collègues et amis vers les questions prometteuses que de se les accaparer...


aait
Ampère et Arago
refont l'expérience d'Ørsted
(source inconnue)

Buste de Fresnel
par David d'Angers.
Grande optique du phare d'Hourtin,
et  sa lentille de Fresnel
Musée de la Marine (P
aris)
Pour plus d'efficacité, Fresnel va devenir le locataire d'Ampère dans la maison qu'il vient d'acheter. Elle n'existe plus, le percement de la rue Monge ayant occasionné sa destruction, mais l'emplacement est repéré au 29bis rue Monge, om une plaque commémorative a été apposée; on la trouvera très facilement, c'est juste au métro Cardinal Lemoine.




"Elle est située entre l'École Polytechnique et le Jardin du Roi, rue des Fossés-Saint-Victor, no 19. Cette rue est large, claire, toujours propre, mais en pente assez rapide, en sorte que les voitures ne peuvent guère y monter quand il gèle. La maison est d'origine patrimoniale, bâtie très solidement en pierre de taille. [...] J'aurai un jardin avec six tilleuls, trois pruniers, quelques espaliers de vigne. Ce terrain est plus haut que la cour et au niveau de l'entresol. Par un petit escalier de bois, bien commode, je réunirai une des pièces de l'entresol au premier étage où je logerai. "

Ampère, lettre à Bredin, 18/05/1818



Poursuivons avec le souvenir d'Arago et Ampère lui-même, qui, dans une grande excitation, se confie à son fils le lendemain:


" il avait imaginé des dispositions extrêmement  ingénieuses pour rendre ces fils mobiles, sans que les extrémités de chacun d'eux eussent à se détacher des pôles respectifs de leurs piles; il avait réalisé, transformé ces conceptions en instruments susceptibles de fonctionner; il avait, enfin, soumis son idée capitale à  une expérience décisive. Je ne sais pas si le vaste champ de la physique offrit jamais une si belle découverte, conçue, faite et complétée avec tant de rapidité.
Cette brillante découverte d'Ampère, en voici l'énoncé: deux fils conjonctifs parallèles s'atirent quand l'éllectricité les parcourt dans le même sens; ils se repoussent, au contraire, si les courants électriques s'y meuvent en sens opposés."

Arago, Éloge à l'Académie, 21/08/1839
"Depuis que j'ai entendu parler pour la première fois de la belle découverte de M. Ørsted, professeur à Copenhague, sur l'action des courants galvaniques sur l'aiguille aimantée, j'y ai pensé continuellement, je n'ai fait qu'écrire une grande théorie sur ces phénomènes et tous ceux déjà connus de l'aimant, et tenter des expériences indiquées par cette théorie, qui toutes ont réussi et m'ont fait connaître autant de faits nouveaux. Je lus le commencement d'un mémoire à la séance de lundi il y a aujourd'hui huit jours. Je fis les jours suivants, tantôt avec Fresnel, tantôt avec Despretz, les expériences confirmatives; je les répétai toutes vendredi soir chez Poisson [...] Tout réussit à merveille; mais l'expérience décisive que j'avais conçue comme preuve définitive exigeait deux piles galvaniques; tentée avec des piles trop faibles chez moi avec Fresnel, elle n'avait point réussi. Enfin hier j'obtins de Dulong qu'il permît à Dumotier de me vendre la grande pile qu'il faisait construire pour le cours de physique de la Faculté et qui venait d'être achevée. Ce matin, l'expérience a été faite chez Dumotier avec un plein succès et répétée aujourd'hui à 4 heures, à la séance de l'Institut. On ne m'a plus fait d'objection et voilà une nouvelle théorie de l'aimant, qui en ramène, par le fait, tous les phénomènes à ceux du galvanisme. Cela ne ressemble en rien à ce qu'on en disait jusqu'à présent. Je le réexpliqueraidemain à M. de Humboldt, après-demain à M. de Laplace au Bureau des Longitudes."

Ampère, lettre à son fils Jean-Jacques, 19/09/1820

Le visionnaire Mémoire de 1820


C'est une période fébrile d'activité et de communications aux "lundis de l'Académie" qui s'ouvre ce 18 septembre 1820. Ampère poursuit le 25, avec une première synthèse forte le 2 octobre, qui est publiée dans les Annales de Chimie et de Physique, et où, dans son souci de clarté et de rigueur, il pose pour la première fois un distinguo fondateur de l'électricité:



"Le premier s'observe lorsque les deux corps entre les quels cette action a lieu sont séparés l'un de l'autre par des corps non conducteurs, dans tous les points de leur surface autres que ceux où elle est établie; le second estcelui où ils font, au contraire, partie d'un circuit de corps conducteurs qui les font communiquer par des  points de leur surface différent de ceux où se produit l'action électromotrice. [...]
Dans le second cas, il n'y a plus de tension électrique, les corps légers ne sont plus sensiblement attirés, et l'électromètre ordinaire ne peut plus servir à indiquer ce qui se passe dans le corps; cependant l'action électromotrice continue d'agir; car si de l'eau, par exemple, un acide,un alcali ou une dissolution saline font partie du circuit,ces corps sont décomposés [..]; et en outre, ainsi que M. Ørsted vient de le découvrir, quand l'action électromotrice est produite par le contact des métaux, l'aiguille aimantée est détournée de sa direction lorsqu'elle est placée près d'une portion quelconque du circuit; mais ces effets cessent, l'eau ne se décompose plus, et l'aiguille revient à sa position ordinaire dès qu'on interrompt le circuit, que les tensions se rétablissent; et que les corps légers sont de nouveau attirés, ce qui prouve bien que ces tensions ne sont pas cause de la décomposition de l'eau, ni des changemens de direction de l'aiguille ai- mantée découverts par M. Ørsted. Ce second cas est évidemment le seul qui pût avoir lieu si l'action électromotrice se développait entre les diverses parties d'un même corps conducteur. Les conséquences déduites, dans ce Mémoire, des expériences de M. Ørsted nous conduiront à reconnaître l'existence de cette circonstance dans le seul cas où il y ait lieu jusqu'à présent de l'admettre."

Ampère, Mémoire de 1820


à bord du sous-marin Flore
Lorient, La Base


C'est la première fois que l'on distingue clairement tension et intensité. Nous sommes très habitués à voir côte à côte voltmètre et ampèremètre sur des tableaux de contrôle -ci-contre, à l'intérieur d'un sous -marin, Ce que l'on connaissait avant Ampère (l'électrostatique) était uniquement relatif à la tension, ou différence de potentiel. Ainsi des expériences de Benjamin Franklin sur les bouteilles de Leyde -qui sont les premiers condensateurs- ou les orages: la décharge n'est pas encore pensée comme un courant (bref) qui circule, à qui on pourrait attribuerer une grandeur, l'intensité.




bouteilles de Leyde.
Museo de la Fisica, Florence (Italie)
Benjamin Franklin (1706-1790),
devant chez lui, à Philadelphie (Pennsylvanie, USA)

Et Ampère de définir, plus loin, le sens du courant électrique, sur la base des effets d'électrolyse... pas de chance, les électrons, qui charrient ce courant, se déplacent en sens inverse, mais on est encore loin de les connaître... et ce sens conventionnel a, du coup, survécu à leur découverte.

Mais ce n'est pas fini! Il interviendra en effet sur ce même sujet, avec à chaque fois de nouveaux éléments, les 9,16 et 30 octobre, les 6 et 13 novembre, les 4,11 et 26 décembre, clôturant cette première série les 8 et 15 janvier 1821! Car, au contraire des expérimentateurs Ørsted et Faraday, dont l'objectif premier est de décrire les phénomènes et d'en proposer une explication (quelles forces, quelles actions sont en jeu, et comment se réalisent elles dans la matière?), Ampère est, ne l'oublions pas, un mathématicien: il s'agit pour lui de quantifier par des formules précises les actions qu'il constate.

Et, de nouveau, le temps presse, et la concurrence est là! Biot et Savart viennent, au même moment, de jeter les bases de leur célèbre formule, celle qui définit l'action magnétique exercée par un fil conducteur en un point de l'espace (qui permet le calcul du champ magnétique, dirait-on plus précisément aujourd'hui.). Mais Ampère va englober dans son étude électricité et magnétisme, démontrant l'action qu'exercent deux courants l'un sur l'autre: sur le brouillon de gauche ci-dessous, d'un "petit élément" ds sur un "petit élément" ds' ; à droite, d'un circuit fermé  sur un "petit élément" ds.



Il est bien loin, le temps où l'adolescent rencontrait quelques difficultés dans les traités d'Euler ou Bernoulli, à cause de tous ces d dont la signification lui échappait!

repérés par leurs initiales dans le tableau de Dufy,
Ampère, Biot et Savart. Derrière eux, Fresnel!


Alors que Biot voulait ramener l'action des courants à celle des aimants (ce qui, de son point de vue, consistait à ramener la nouveauté à ce qui eétait déjà connu), Ampère, quasiment seul contre tous, veut ramener le magnétisme à l'électricité. Dans le schéma manuscrit cicontre (source: ampere.cnrs.fr, parcours pédagogique), il oppose sa conception d'un courant, succession de petits éléments de courants, créant une action magnétique transversale à celle de Biot, qui décompose l'aimant en une suite de petits aimants élémentaires, chacun produisant une boucle de courant dans la section droite du fil.


Un avis d'expert:

"L'investigation expérimentale par laquelle Ampère établit les lois de l'action mécanique entre les courants électriques est l'une des plus brillante réussite de la science.
L'ensemble, théorie et expérimentation, semble sorti tout armé, dans sa forme définitive, du cerveau du 'Newton de l'électricité'. Sa forme est parfaite, sa précision inattaquable, il tient en une seule formule dont tous les phénomènes découlent, et qui restera pour toujours la formule fondamentale de l'électrodynamique.

Pourtant, la méthode d'Ampère, en dépit de son apparence inductive, ne nous permet guère de retrouver la trace des idées qui l'ont guidé. On a du mal à croire qu'il a découvert ces lois au moyen des expériences qu'il décrit. On en vient à soupçonner, comme il le suggère lui-même, qu'il a fait cette découverte par quelque procédé qu'il nous a caché, et qu'après avoir ensuite bâti une démonstration parfaite, il a effacé toutes les traces de l'échafaudage qu'il avait employé, "

J.-C. Maxwell, Traité d'Électricité et de Magnétisme, 1891

Maxwell dans La Fée

[ N.B. : ne vous contentez pas d'admirer Maxwell dans la Fée; allez voir dans nos pages sa statue à Édimbourg ! ]

Le mémoire de 1820 est aussi porteur d'une grande richesse applicative: Ampère imagine déjà le profit technique que l'on peut tirer de l'expérience d'Ørsted pour construire des appareils novateurs. Oh, bien sûr, cette première étincelle aura besoin d'être perfectionnée -longue est la liste de ceux qui y travailleront avec talent. Mais lancer l'idée, fût-elle accompagnée d'une conception maladroite... il faut le faire, dans un délai de réaction aussi court! Voilà qui témoigne de sa vivacité d'esprit.

Première application: le galvanomètre (et donc l'ampèremètre, qui en dérive) pour mesurer l'intensité du courant; celle-ci est assez naturelle:


"L'électromètre ordinaire indique quand il y a tension et l'intensité de cette tension; il manquait un instrument qui fit connaître la présence du courant électrique dans une pile ou un conducteur, qui en indiquât l'énergie et la direction. Cet instrument existe aujourd'hui; il suffit que la pile ou une portion quelconque du conducteur soient placées horizontalement à-peu-près dans la direction du méridien magnétique, et qu'un appareil semblable à une boussole, et qui n'en diffère que par l'usage qu'on en fait, soit mis sur la pile, ou bien audessous ou au-dessus de cette portion du conducteur: tant qu'il y a quelque interruption dans le circuit, l'aiguille aimantée reste dans sa situation ordinaire; mais elle s'écarte de cette situation, dès que lecourant s'établit, d'autant plus que l'énergie en est plus grande, [...]

Je pense que pour distinguer cet instrument de l'électromètre ordinaire, on doit lui donner le nom de galvanomètre, et qu'il  convient de l'employer dans toutes les expériences sur les conrans électriques, comme On adapte habituellement un électromètre aux machines électriques, afin de voir à chaque instant si le courant a lieu, et quelle en est l'énergie."


Ampère, Mémoire de 1820



statue de  Galvani à Bologne, sa ville natale (son nom est gravé sur le socle!)

Ampère rend donc, avec cette appellation, hommage au découvreur de l'électricité animale, Luigi Galvani (177-1798). Bien des perfectionnements seront déployés avant l'ère du multimètre numérique... mais quand même, qu'ils értaient beaux avec leur bois, leur cuivres et leurs coffrets vernis, les appareils analogiques!



Galvanomètre à miroir. Ce dernier amplifie un faible mouvement de déviation de l'aiguille en envoyant une tache lumineuse sur une réglette courbe. Le principe est dû à Helmholtz, mais il a été perfectionné par Kelvin pour rechercher d'éventuels défauts des câbles télégraphiques sous-marins.
Cité des Télécoms, Pleumeur-Bodou (Côtes d'Armor)
Ampèremètre-étalon.
Musée de la Centrale de Bazacle Toulouse (Haute Garonne)


C'est au beau milieu de cette portion de texte, entre description et baptême (à la place que nous avons repérée par la marque [...] ) qu'apparaît une autre fameuse invention, conceptuelle, celle-ci: le bonhomme d'Ampère!



ci -contre; croquis d'Ampère , manuscrit (source)

Deuxièrme application: le Télégraphe électrique!

Ampère n'a pas inventé télégraphe : en 1794, le télégraphe optique de Chappe, installé sur la ligne Paris-Lille grâce au soutien du mathématicien Lazare Carnot, avait annoncé la victoire de Condé-sur-Escaut en moins d'une heure (un progrès certain sur un courrier à cheval, car celui-ci aurait dû, pour concurrencer ce temps, filer à la vitesse d'un TGV, puisque c'est le temps nominal mis par le Paris-Lille... enfin, quand il n' a pas de retard...).
Mais l'électrifier, c'était quand même une sacrée idée! (Un autre l'avait eu un peu avant lui, mais Ampère ne l'a pas su immédiatement: un certain Schömmering, qui proposait, lui, l'observation d'une électrolyse, à raison d'un vase par lettre... pas très commode!)


manuscrit préparatoire

"On pourrait, au moyen d'autant de fils conducteurs et d'aiguilles aimantées qu'il y a de lettres, et en plaçant chaque lettre sur une aiguille différente, établir, à l'aide d'une pile placée loin de ces aiguilles, et qu'on ferait communiquer alternativement par ses deux extrémités à celles de chaque conducteur, former une sorte de télégraphe propre à écrire tous les détails qu'on voudrait transmettre à travers quelque obstacle que ce fût. En établissant sur la pile un clavier dont les touches porteraient les mêmes lettres et établiraient la communication par leur abaissement, ce moyen de correspondance pourrait avoir lieu avec assez de facilité et n'exigerait que le temps nécessaire pour toucher d'un côté et lire de l'autre chaque lettre."

Ampère, Mémoire de 1820




Charles Wheatstone (1802-1875) et deux réalisations de son télégraphe à aiguilles (Musée des Sciences, Londres)

La première amélioration, très ingénieuse (ci-dessus), a été brevetée en 1837 par Cooke et Wheatstone, et elle est géométriquement très ingénieuse: avec 5 fils seulement (et non 26...), deux câbles recevant le courant dévient deux aiguilles sur les cinq, définissant une lettre unique à l'intesection des deux droites qu'elles dirigent. (Plus sur cette page en Anglais) Elle sera éphémère, car en 1844 Samuel Morse inventera son fameux code et simplifiera définitvement la transmission.

1821 et au delà: Échanges avec Faraday

Ampère avait cru clore le sujet à le fin 1820. Mais les découvertes de Michael Faraday relancent son intérêt, motivent de nouvelles expériences, suggèrent la construction de nouveaux dispositifs... et vont déclencher une nouvelle salve de communiqués à l'Académie, les 19/11, 3/12, 10/12/1821 et 7/01/1822.





Michael Faraday (1791-1867),
chez lui, dans son musée à Londres
son laboratoire, et,
posé sur la table... (cliquez!)
... l'appareil  qui démontre la rotation d'un fil (parcouru par un courant) autour d'un aimant, et l'inverse.
Dessin tiré d'un de ses ouvrages

"Je t'écris de la séance de l'Institut en attendant l'ouverture. Jamais je n'ai eu un travail si exorbitant, vraiment au-dessus de mes forces. J'ai pris des maux d'estomac très vifs en écrivant jour et nuit. Tu verras une partie de tout cela dans le prochain numéro des Annales de Chimie et de Physique [...]
En arrivant ici, la métaphysique remplissait ma tête; mais, depuis que le mémoire de M. Faraday a paru, je ne rève plus que courants électriques. Ce mémoire contient des faits électro-magnétiques très singuliers, qui confirment parfaitement ma théorie, quoique l'auteur cherche à la combattre pour lui en substituer une de son invention."

Ampère, lettre à Bredin, 3/12/1821

Une correspondance s'engage entre les deux savants, et si au fil des lettres l'estime mutuelle tourne à l'amitié, une incompréhension demeure, en raison de leurs approches trop différentes. Voici à titre d'exemple deux extraits l'un d'un courrier d'Ampère, l'autre de sa réponse (selon la traduction donnée dans la Correspondance d'Ampère, vol. 3, où on peut aussi lire Faraday en V.O.)

Ampère à Faraday, 10/07/1822
Faraday à Ampère, 3/09/1822
"Je suis vraiment si confus de n'avoir pas répondu de suite aux différentes lettres que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, que je ne sais comment vous en faire agréer mes excuses. La correspondance que vous avez la bonté d'entretenir avec moi m'est cependant bien précieuse pour moi. Vos découvertes, en enrichissant la physique de faits nouveaux, sont la principale cause de ce que j'ai pu ajouter à ce que j'avais fait il y a deux ans sur les phénomènesélectro-dynamiques. Mon silence forcé est venu surtout de ce que les occupations journalières que j'ai à l'École Polytechnique et dans l'Université, non seulement ne me laissent presque pas un moment à consacrer à d'autres occupations, mais encore me laissent dans un état de fatigue où je deviens incapable d'écrire. Je m'étais malheureusement proposé de vous faire une longue lettre où j'aurais exposé toutes les preuves qui me paraissent augmenter tous les jours en faveur de la manière dont j'ai ramené les phénomènes de l'aimant à ceux que j'ai découverts et annoncés à l'Institut [...] Je n'ai jamais eu le temps nécessaire pour rédiger cette lettre, et je me sens d'autant plus coupable envers vous à cet égard que vous m'avez constamment répondu aussitôt mes lettres reçues, ce dont je vous ai une obligation infinie.
[...]
J'ai remis à M. Underwood, un ami de Sir H. Davy qui retournait en Angleterre, deux exemplaires de mon mémoire avec plusieurs additions et suppléments qui ne se trouvaient pas dans l'exemplaire que vous aviez de ce mémoire. L'un des deux exemplaires que j'ai confiés à M. Underwood était pour vous, Monsieur; l'autre pour Sir Humphry. J'y ai ajouté depuis de nouveaux suppléments que je vous ai adressés ainsi qu'à Sir Humphry par I. Dorckray de Manchester, qui se trouvait dernièrement à Paris avec M. Dalton. Je dis à Paris, car quoique j'aie commencé cette lettre à Paris, c'est de la ville de Clermont en Auvergne que je vous écris aujourd'hui 25 juillet, ayant été obligé de quitter Paris pour une inspection des collèges royaux lorsque je ne vous avais encore écrit qu'une page."
"J'ai été très flatté et gratifié par l'honneur que vous m'avez fait en m'adressant vos nombreuses communications et particulièrement par votre dernière et importante lettre, en échange de laquelle je n'ai rien à vous offrir que mes meilleurs remerciements. [...} Désireux comme je le suis d'apprendre de temps en temps les progrès que vous faites dans une branche de la Science qui vous doit tant, je ne puis, pour le moment, vous venir en aide, mais je sens que je suis, dans cette correspondance entre nous, un bénéficiaire sans mérite et vous le perdant et que, tout en recevant beaucoup je ne puis rien vous rendre.
[...]
Je suis revenu tout récemment de la campagne; sans quoi je vous aurais déjà envoyé mes meilleurs remerciements pour les mémoires que j'ai reçus par les mains de MM. Underwood et Dockray. Je n'ai fait encore que les lire rapidement et j'ai besoin de les examiner avec plus de soin et de calme, ainsi que votre excellente dernière lettre. Malheureusement, je manque de connaissances mathématiques et n'ai pas le pouvoir d'entrer facilement dans un raisonnement abstrait. Je suis obligé de me frayer un chemin par des faits formant une chaîne continue, en sorte qu'il arrive souvent que je suis laissé en arrière dans le progrès d'une branche de la Science, non seulement par mon manque d'attention, mais par incapacité. Je ne puis le suivre malgré tous mes efforts. Il en est ainsi, je suis confus de le dire, pour vos subtiles recherches en électro-magnétisme ou électro-dynamique. En lisant vos publications et vos lettres, je n'ai pas de difficulté à suivre vos raisonnements; mais, à la fin, il me semble que j'attends quelque chose de plus pour conclure. J'imagine que l'habitude que j'ai prise de compter trop strictement sur l'expérimentationa un peu émoussé ma faculté de raisonnement et m'enchaîne à terre, et je ne puis y remédier maintenant ni plus tard
[...]
Je ne puis m'empêcher de penser qu'il y a là un immense champ d'expérimentation prêt à s'ouvrir et assez de matière pour entraîner la conviction de la vérité. Je ne pense pas que je doive attendre longtemps pour cela, bien que je n'aie pas l'idée d'où la lumière peut venir, si ce n'est de vous."


La lumière viendra cependant plus tard... de Maxwell, qui fera des lignes de force chères à Faraday (les visualiser avec de la limaille convenait parfaitement à son approche expérimentale) des lignes de champ, en introduisant deux champs liés entre eux par de très élégantes équations (mais c'est là une autre histoire!...): le champ électrique et le champ magnétique.

Ampère et De La Rive passeront bien près de la découverte des courants induits, en 1822. Opérant avec du courant continu, ils ne peuvent observer les effets d'induction que pendnats de très courts instants, à la fermeture et à l'ouverture du circuit. Ils remarquent le phénomène, mais ne creusent pas... et laissent ainsi l'honneur de la découverte à Faraday, 10 ans plus tard. Sa statue immortalise cette découverte, en insistant sur l'accessoire essentiel.




la même statue de Faraday, mais en bronze, à l'extérieur.
Londres, Savoy Place

le fameux anneau torique de l'expééience prouvant l'induction.
Musée Faraday, MLondres

Deux hommes, deux grands savants, mais deux styles; en écho à la comparaison de leurs courriers, on retrouve... Maxwell !

"D'un autre côté, Faraday nous montre aussi bien ses expériences qui réussissent que celles qui échouent, ses idées brutes tout autant que les plus développées; et le lecteur, quoiqu'il lui soit inférieur par la puissance de l'induction, éprouvera pour lui plus de sympathie que d'admiration, et pourra être tenté de croire que, si l'opportunité lui est offerte, lui aussi fera des découvertes. Tout étudiant devrait lire le mémoire d'Ampère, en tant que splendide exemple du style scientifique dans l'exposition d'une découverte, mais il devrait aussi lire Faraday pour apprendre à cultiver l'esprit scientifique, au moyen de l'action-réaction suscitée entre les nouvelles découvertes que Faraday lui présente et les idées que cela dfera naître dans son propre esprit."

J.-C. Maxwell, Traité d'Électricité et de Magnétisme, 1891


De la Méthode : Ampère et Fourier

Ampère et Fourier se sont rencontrés, mais assez rarement. Les hasards du temps, les remous d'une époque agitée les feront, à plusieurs reprises, manquer la rencontre à assez peu près. Ainsi de leurs présences respectives à l'École Polytechnique, où Fourier ne reprend, à son retour d'Égypte, sa place d'Instituteur d'Analyse que pour quelques mois au début 1802, alors qu'Ampère n'y arrive qu'n 1804. À l'Institut, Ampère n'arrive qu'en 1814, alors que Fourier a soumis ses mémoires en 1807 et 1811. Il aurait peut-être été plus qualifié qu'un Lagrange vieillissant  pour juger  du traitement neuf des équations aux dérivées partielles, quoique son abord du sujet soit fort différent.
Toutefois, ils se sont rencontrés à la préfecture de Grenoble en 1810; où Fourier a acueilli M. l'Inspecteur Général de l'Université Française Impériale, à l'occasion d'une de ses tournées: Ampère avait été nommé à cette fonction par Napoléon en 1808


 

Brouillon de rapport sur le professeur
Notes sur les réponses d'un élève

  source: manuscrits d'Ampère, Inspection (CNRS)

Et ce soir-là, à la préfecture de l'Isère (on le sait par un troisième participant), on parla d'Emmanuel Kant, que Fourier était l'un des rares Français à connaître sans pour autant l'apprécier exagérément, mais qui influençait de manière assez certaine un Ampère très métaphysicien en ce temps-là, un intérêt pour la philosophie qu'il conservera jusque dans ses cours au Collège de France. nous n'avons certes pas l'enregistrmement de cette conversation, mais ce qu'il écriit au philosophe Maine de Biran à la même époque, peut donner une idée de ses réflexions kantiennes: la discussion fut sûrement de haute tenue ce soir-là... même si l'on peut regretter qu'elle n'ait pas porté sur la physique!
 

L'hôtel de Lesdiguières, siège de la préfecture à l'époque de Fourier
"je ne sais si je dois vous entretenir de la question que nous traitons actuellement, parce que je crois un quart d'heure de conversation plus propre que vingt lettres à nous mettre d'accord. Il ne s'agit que de vous placer dans le point de vue où je vous suppose malgré moi quand je vous écris,[...] pour que vous vous aperceviez vous-même :
1° Qu'on ne peut nier qu'il y ait des rapports indépendants de la nature des modifications entre lesquelles nous les avons aperçus, sans tomber dans le kantisme le plus complet et sans ébranler vos propres théories;
2° Que les exemples que vous m'offrez comme des objections contre ma manière de voir à ce sujet semblent avoir été choisis exprès pour la confirmer. Et d'abord, ma première proposition étant seulement qu'il n'y a pas, à appliquer les idées de nombres, par exemple, aux noumènes indépendants de nous, la même absurdité qu'il y aurait à leur attribuer les sensations des couleurs ou des odeurs telles qu'elles-,sont-en nous; vous ne pouvez nier cette proposition qu'en disant : « Il est également absurde de dire que des noumènes sont au nombre de deux, tel que nous concevons ce nombre, que de dire qu'ils sont rouges ou puants, en ce sens qu'ils contiendraient en eux-mêmes notre sensation de rougeur et de puanteur. » De même qu'on doit dire seulement qu'il y a dans les noumènes des causes inconnues qui nous modifient en rouge et en mauvaise odeur, il faudrait alors que vous disiez qu'il y a, dans la nouménalité extérieure, une cause inconnue qui excite en nous la notion de deux, sans qu'il soit même possible qu'il y ait réellement deux  noumènes, de même qu'il est absurde et impossible que notre sensation de rouge soit réellement  dans l'écarlate....

J'aurais tant d'autres choses à vous dire ! Je les laisse pour une autre fois, d'autant plus volontiers que je pourrai peut-être vous les expliquer bientôt de vive voix. Quel bonheur ce serait pour moi ! En attendant je vous prie de faire bien attention que ce n'est point moi qui ai imaginé que les idées de nombres, de formes, d'existence, de durée, etc., pouvaient, comme celle de causalité, être affirmées des noumènes en eux-mêmes et indépendamment de nous, tandis qu'à l'égard des idées sensibles, on ne pouvait les en affirmer sans absurdité, mais seulement leurs causes, causes qui ne ressemblent en rien à ces idées sensibles ou images. Cette opinion a été celle des Locke, des Malebranche, des Leibniz; elle a été l'origine de la distinction des qualités primaires, qui étaient dans les corps eux-mêmes (les nombres, formes, mouvements) et les qualités secondaires, dont il n'y avait  en eux que les causes inconnues (les modifications que nous en recevons).
Cette distinction admise par tous les vrais métaphysiciens, j'ai cherché seulement à l'expliquer, à la développer, à faire comprendre comment et par quelle route on peut arriver à ces connaissances, en examinant comment les hommes y arrivent en effet, en cherchant un critérium pour distinguer les notions dépendantes de la nature de nos organes, qui ne peuvent sans absurdité être appliquées aux noumènes indépendamment de nous, et celles qui, étant absolument indépendantes de la nature de nos organes, pouvaient au contraire être attribuées aux noumènes eux-mêmes, non seulement sans absurdité, mais avec un tel degré de probabilité qu'il devient pour nous un assentiment complet, sans laisser encore lieu au doute. Sans cette théorie, la psychologie devient l'ennemie des sciences et de toutes les idées consolantes qui appuient la morale et la vertu; elle apprend à dire : « Il est absurde que la terre soit en elle-même et indépendammentde nous aplatie aux pôles et se meuve dans une ellipse; mais une cause inconnue nous porte à le croire.»

Ampère, lettre à Maine de Biran, 3/12/1821

Tombeau de Kant à Königsberg (aujourd'hui Kaliningrad, Russie) 




Leurs grandes publications vont aussi s'entrelacer à bien peu d'années d'écart. En 1820, Ampère fait , sur le sujet qui assurera sa gloire, ses deux premières communications à l'Académie des Sciences, tandis que Fourier, qui n'a réussi à faire publier par celle-ci, ni le mémoire de 1807, ni celui de 1811, parvient enfin à obtenir une première impression en deux épisodes aux Comptes Rendus en cette même année 1820. Ampère poursuit avec quatre autres interventions, et l'un comme l'autre ressentent le besoin, fort naturel, de présenter un texte de synthèse "définitif", et de l'introduire par quelques pages où ils contemplent leur travail en prenant de hauteur, mêlant histoire des sciences, méthodologie, philosophie et jusqu'à une vision du futur. Pour Fourier, ce sera en 1822 la Théorie Analytique de la Chaleur, avec, bien séparée de la division en chapitres, son magistral Discours Préliminaire. Ampère, en 1825, est plus discret, à la fois par le nombre de pages et son choix de ne pas l'isoler de la suite de son texte.

On se propose ici d'en développer la comparaison; on suivra le texte d'Ampère dans son ordre propre (il est ici chez lui, dans sa page!); pour respecter la mise en parallèle des idées similaires chez Fourier , celles-ci ne respecteront pas nécessairement l'ordre du Discours Préliminaire.

Car il est frappant d'y trouver de nombreux points communs, dans lesquels on aurait tort de voir le moindre plagiat. Il s'agit essentiellement d'une similitude de conceptions, d'une même volonté de mathématiser la physique. Esprit du temps, dira-t-on? Certes, mais qui construit cet esprit du temps? Certainement ces deux savants y contribuent-ils fortement, qui chacun de leur côté, entendent montrer la réussite de l'apport mathématique dans deux domaines "neufs", la chaleur et l'électricité, contre les réticences de nombreus physiciens de l'époque, qui ne dépassent pas une vision "descriptive", proche des sciences naturelles d'alors. Comme la mathématisation avaiit été un immense succès dans le domaine de la Mécanique, c'est tout naturellement que figure la référence obligée au père fondateur -dès les premiers mots pour Ampère.


Ampère, Mémoire de 1825 Fourier, Discours Préliminaire, 1822
"L’époque que les travaux de Newton ont marquée dans l'histoire des sciences n’est pas seulement celle de la plus importante des découvertes que l’homme ait faites sur les causes des grands phénomènes de la nature, c’est aussi l’époque où l’esprit humain s’est ouvert une nouvelle route dans les sciences qui ont pour objet l’étude de ces phénomènes. " "Les connaissances que les plus anciens peuples avaient pu acquérir dans la mécanique rationnelle ne nous sont point parvenues, et l'histoire de cette science [...] ne remonte point au-delà des découvertes d'Archimède. . Il s'écoula environ dix-huit siècles avant que Galilée, premier inventeur des théories dynamiques, découvrit les lois du mouvement des corps graves. Newton embrassa dans cette science nouvelle tout le système de l'univers."

Place ensuite au credo expérimental: pour formuler une loi avec sûreté, il faut avoir fait beaucoup de mesures et varié autant que possible les conditions. Alors, plus aucun biais ne pouvant se présenter, on en retire la moëlle mathématique.

Ampère, Mémoire de 1825 Fourier, Discours Préliminaire, 1822
"Observer d’abord les faits, en varier les circonstances autant qu ’il est possible , accompagner ce premier travail de mesures précises pour en déduire des lois générales , uniquement fondées sur l’expérience, "J'ai déduit ces lois d'une longue étude et de la comparaison attentive des faits connus jusqu'à ce jour ; je les ai tous observés de nouveau dans le cours de plusieurs années, avec les instruments les plus précis dont on ait encor fait usage.
et déduire de ces lois, indépendamment de toute hypothèse sur la nature des forces qui produisent les phénomènes , la valeur mathématique de ces forces , c’est-à-dire la formule qui les représente , telle est la marche qu’a suivie Newton. [...]J’ai consulté uniquement l’expérience pour établir les lois de ces phénomènes, et j’en ai déduit la formule qui peut seule représenter les forces auxquelles ils sont dus ; "

Enfin, lorsque la chaleur pénètre les masses fluides, [...]  peut-on encore exprimer, par des équations différentielles, les lois d'un effet aussi composé ; et quel changement en résulte-t-il dans les équations générales de l'hydrodynamique?
Telles sont les questions principales que jai résolues, et qui n'avaient point encore été soumises au calcul. Si l'on considère de plus les rapports multipliés de cette théorie mathématique [...] "

Ce qui frappe dans les deux cas, c'est le rejet des causes au profit de la mise en place d'une sorte d'axiome mathématique, dont la justification expérimentale est solide (voir ce qui précède), et dont on tirera avec succès toutes les conséquences. C'est tout sauf un désintérêt pour la cause physique profonde (on le verra en affirmer explicitement l'importance un peu plus bas); c'est un pragmatisme stratégique: ce principe admis, on peut continuer sans état d'âme, sans l'impression de construire sur le sable. La question de la cause première est certes passionnante, mais à quoi bon y rester bloqué en s'enlisant dans des débats stériles? Ainsi en est il du "calorique" pour Fourier, ainsi en est-il du courant électrique pour Ampère: pour savoir ce que le courant électrique est un mouvement d'électrons, encore faudrait-il avoir découvert ces particules (Thomson 1897)!

Ampère, Mémoire de 1825 Fourier, Discours Préliminaire, 1822
"je n’ai fait aucune recherche sur la cause même qu’on peut assigner à ces forces, bien convaincu que toute recherche de ce genre doit être précédée de la connaissance purement expérimentale des lois , et de la détermination , uniquement déduite de de la ces lois, de la valeur des forces élémentaires [...]C’est pour cela que j’ai évité de parler des idées que je pouvais avoir sur la nature de la cause de celles qui émanent des conducteurs voltaïques  [...]" "Les causes primordiales ne nous sont point connues; mais elles sont assujetties à des lois simples et constantes, que l'on peut découvrir par l'observation,et dont l'étude est l'objet de la philosophienaturelle. "

Ce serait une faute de penser que cette façon d'avancer, "c'est bon pour des physiciens", car, à la vérité, les mathématiciens ne font pas autrement. Le calcul intégral a été intensément utilisé pendant presque deux sièvcles après son invention par Leibniz, avant que Riemann  ne pose  la question: "que faut-il entendre par ce symbole?" et ne le théorise; et il ne l'aurait pas fait aussi tôt si... Fourier n'avait pas introduit ses formules de coefficients! Toute l'analyse repose sur le concept de nombre réel... qui a connu un délai de gestation aussi long, et simultané.
Mais ce qui paraissait, à première vue, un handicap, devient un avantage: la théorie édifiée ne sera pas remise en cause par l'avancée future qui résoudra ces mystères:

Ampère, Mémoire de 1825 Fourier, Discours Préliminaire, 1822
"Le principal avantage des formules qui sont ainsi conclues immédiatement de quelques faits généraux donnés par un nombre suffisant d’observations pour que la certitude n’en puisse être contestée , est de rester indépendantes, tant des hypothèses dont leurs auteurs ont pu s’aider dans la recherche de ces formules, que de celles qui peuvent leur être substituées dans la suite. L’expression de l’attraction universelle déduite des lois de Képler ne dépend point des hypothèses que quelques auteurs ont essayé de faire sur unecause mécanique qu’ils voulaient lui assigner. " "Les théories nouvelles, expliquées dans notre ouvrage sont réunies pour toujours aux sciences mathématiques, et reposent comme elles sur des fondements invariables ; elles conserveront tous les éléments qu'elles possèdent aujourd'hui, et elles acquerront continuellement plus d'étendue. On perfectionnera les instruments et l'on multipliera les expériences. "

C'est le moment que choisit Ampère pour une référence plus explicite à Fourier, sans toutefois jamais écrire son nom! La Théorie Analytique est enfin parue; nul doute qu'il en ait lu la préface, après avoir pris connaissance du contenu dans les séances de 1819-1920 de l'Académie. Ampère fait ici, en quelques lignes, la comparaison que nous venons d'effectuer en parallèle dans les deux textes, et conclut en comparant sa position à celle de Fourier.

"La théorie de chaleur repose réellement sur des faits généraux donnés immédiatement par l’observation; et l’équation déduite de ces faits se trouvant confirmée par l’accord des résultats qu’on en tire et de ceux que donne l’expérience , doit être également reçue comme exprimant les vraies lois de la propagation de la chaleur, et par ceux qui l’attribuent à un rayonnement de molécules calorifiques, et par ceux qui recourent pour expliquer le même phénomène aux vibrations d’un fluide répandu dans l’espace; seulement il faut que les premiers montrent comment l’équation dont il s’agit résulte de leur manière de voir, et que les seconds la déduisent des formules générales des mouvements vibratoires; non pour rien ajouter à la certitude de cette équation , mais pour que leurs hypothèses respectives puissent subsister . Le physicien qui n’a point pris de parti à cet égard admet cette équation comme la représentation exacte des faits, sans s’inquiéter de la manière dont elle peut résulter de l’une ou de l’autre des explications dont nous parlons ; et si de nouveaux phénomènes et de nouveaux calculs viennent à démontrer que les effets de la chaleur ne peuvent être réellement expliqués que dans le système des vibrations, le grand physicien qui a le premier donné cette équation, et qui a créé pour l'appliquér à l’objet de ses recherches de nouveaux moyens d’intégration, n’en serait pas moins l’auteur de la théorie mathématique de la chaleur, comme Newton est celui de la théorie des mouvements planétaires , quoique cette dernière ne fût pas aussi complètement démontrée par ses travaux quelle l’a été depuis par ceux de ses successeurs.
Il en est de même de la formule par laquelle j’ai représenté l'action électro-dynamique."

Ampère, Mémoire de 1825

Sans oublier den revenir à la figure de Newton: "Nous sommes les Newton de ces nouvelles théories", proclame en filigrane celui qu'on surnomera bientôt... le Newton de l'électricité!
Se dégage , par conséquent, une grande confiance dans le futur

Ampère, Mémoire de 1825 Fourier, Discours Préliminaire, 1822
"Quelle que soit la cause physique à laquelle on veuille rapporter les phénomènes produits par cette action, la formule que j’ai obtenue restera toujours l’expression des faits. Si l’on parvient à la déduire d’une des considérations par lesquelles on a expliqué tant d’autres phénomènes [...], on fera un pas de plus dans cette partie de la physique; mais cette recherche, dont je ne me suis point encore occupé, quoi que j’en reconnaisse toute l’importance, ne changera rien aux résultats de mon travail , puisque pour s’accorder avec les faits , il faudra toujours que l’hypothèse adoptée s’accorde avec la formule qui les représente si complètement.. " "L'analyse que nous avons formée sera déduite de méthodes plus générales, c'est-à-dire plus simples et plus fécondes, communes à plusieurs classes de phénomènes. [...]

Considérée sous ce point de vue, l'analyse mathématique est aussi étendue que la nature elle-même;
[...] ccette science difficile se forme avec lenteur, mais elle conserve tous les principes qu'elle a une fois acquis ; elle s'accroît et s'affermit sans cesse au milieu de tant de variations et d'erreurs de l'esprit humain."

 

Retour à Ampère: Hommages Posthumes

Ampère a une place à son nom à Lyon, avec sa statue; un lycée y a également été baptisé en son honneur. À Paris, son nom a été donné à une rue (XVIIème arrondissement) et figure sur la Tour Eiffel.




Tour Eiffel, face Trocadéro (Nord-Ouest)
statue lyonnaise

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