Al Tusi,

d'Alamut à Maragheh


Deux mathématiciens portent le nom Al-Tusi, car celui-ci signifie seulement que l'intéressé est né à Tus, dans la province du Khorâssan, aujourd'hui en Iran:
Ce sont les traces du second que nous allons évoquer dans cette page.

Du site de philatélie mathématique de Jeff Miller

Épisode I : le Prisonnier d'Alamut


Tus

Il ne reste rien de sa ville natale telle que l'a connue notre héros. De cette ville, comme de pour beaucoup d'autres, Genghis Khan n'a guère laissé que quelques tells, ces légères surélévations de terre pour lesquels la légitime passion enflammée des archéologiues n'a d'égale que la profonde indifférence des passants ordinaires.

Tus, reste de mur d'enceinte

On peut tout de même se faire une petite idée grâce à des maquettes présentés dans l'Harouniyeh, monument funéraire (ce qui est certain), prétendu d'Haroun-al-Rachid, le célèbre calife des Mille et une Nuits... ce qui l'est beaucoup moins!




Tus, l'Harouniyeh à quoi ressemblait Tus, avant sa destruction: reconstitution en maquette

Chose surprenante pour un homme de sa réputation (qui dépasse largement le terrain des sciences: il fut aussi médecin, philosophe et théologien), il n'a pas de statue dans sa ville natale, alors que l'Iran contemporain honore avec fierté tous ceux qui ont façonné son histoire et sa culture. Peut-être s'est-il retrouvé, localement, quelque peu éclipsé par l'autre grande gloire de la ville, le poète Ferdowsî (940-1020), auteur du Shâh-Nâmeh, le Livre des Rois (écrit vers l'an 1000, disponible ici en Anglais)?
Dès l'âge de 12 ou 13 ans, Nasir va poursuivre ses études à Nishapur, où sa réputation  va germer. Il y a pour professeur de mathématiques Muhammad Hasib et s'y initie au soufisme, ce qui influencera sa philosophie. Il se perfectionne en astronomie avec Kamal al-Din Ibn Yunus (mort en 1242)  à Mosul, lui-même disciple de ...  Sharaf al-Din al-Muzaffar al-Tusi .
 
En 1220, quand Tus est rasée par les Mongols de Gengis Khan, Al-Tusi est depuis quelque temps "pensionnaire" de la la citadelle d'Alamut.

Alamut


Alamut!

Sexe, drogue et roc...
Violence, légende et... Jeux vidéos!

Qu'allait faire un savant en cet endroit?

Un parfumeur Florentin a choisi ce nom pour une ligne de produits. Pas trop innocemment: les noms de parfums évoquent qui une drogue, qui une héroïne de Sade, du sulfureux, de l'interdit...



Un peu de patience... Découvrons d'abord ce lieu, comme lui-même a dû le découvrir: car si de la forteresse, ne subsistent que des ruines, son extraordinaire site naturel n'a en rien changé. Et profitons de deux célèbres romans pour en accompagner la présentation, nous ne saurions mieux dire. Bien sûr, ce sont des romans: ne perdons jamais de vue que le romancier a quelques droits à déformer la réalité historique.  Vous en reconnaîtrez les extraits respectifs à la couleur du fond , selon ce code:  

Vladimir Bartol, Alamut (1938)
Amin Maalouf, Samarcande (1988)
Un voyageur en Orient...(????)

En approchant, par la route, notre première impression est celle que décrit Amin Maalouf:

"Alamut. Une forteresse sur un rocher, à six mille pieds d'altitude, un paysage de monts nus, de lac oubliés, de falaises raides, de cols étranglés. [...]
Entre les montagnes règne le Shah-Rud, surnommé "fleuve fou", qui au printemps, à la fonte des neiges de l'Elbourz, se gongle et s'accélère, arrachant sur son passage arbres et pierres. Malheur à qui ose s'approcher, malheur à la troupe qui ose camper sur ses rives! 
En dialecte local, Alamut siginifie «la leçon de l'aigle». On raconte qu'un prince qui voulait bâtir une forteresse pour contrôler ces montagnes y aurait lâché un rapace dressé. Celui-ci, après avoir tournoyé dans le ciel, vint se poser sur ce rocher. Le maître comprit qu'aucun emplacement ne serait meilleur.
Hassan Sabbah a imité l'aigle. Il a parcouru la Perse à la recherche d'un lieu où il puisse rassembler ses fidèles, les instruire, les organiser.
[...] [Dans] une grande ville, l'affrontement avec les Seldjoukides serait immédiat, et, inévitablement, tournerait à l'avantage de l'empire. Il lui faut donc autre chose, un réduit montagneux, inaccessible, imprenable, à partir duquel développer son activité tous azimuts. [...]Ce site a été pour lui une révélation. Dès qu'il l'a aperçu de loin, il a compris que c'était ici, et nulle part ailleurs, que s'achéverait son errance, que s'élèverait son royaume."
Amin Maalouf, Samarcande.

Le roc et la forteresse (indiquée par la flèche!) Une certaine verticalité... En arrière plan, la chaîne de l'Alborz

De nos jours, GoogleMaps peut remplacer le vol de l'aigle:
Au centre, le rocher et les ruines de la forteresse.
À gauche, le village et la route dans la vallée.
Le chemin de montée, carossable jusqu'au plateau, est bien visible entre la route et l'extrémité du roc; il disparait ensuite en contournant par l'arrière.

Encore aujourd'hui, la route carossable s'arrête bien avant d' atteindre la forteresse. Il ne reste, pour aller jusqu'au sommet, que les ressources du temps de la splendeur d'Alamut: des ânes... ou ses pieds!

Au terminus de la route. Ce premier escalier n'est qu'un aménagement touristique récent.

Le paysage, sous nos yeux, ne saurait être très différent de ce que vit notre astronome en y arrivant. Avant  même d'atteindre le dernier escalier (d'époque, celui-là), on réalise, combien le site était propice,  par ses défenses naturelles, à  l'implantation d'une citadelle inexpugnable. Il est temps de céder la parole à Vladimir Bartol: dans son roman éponyme



À gauche et à droite -respectivement- de l'éperon rocheux

"Ils s'enfonçaient au plus fort des montagnes et le Chah Rud mugissait avec une violence accrue. Ils arrivèrent enfin devant un éperon rocheux coiffé d'une tour de guet. Un drapeau blanc flottait sur son faîte. Le cours de la rivière contournait cet escarpement naturel, prisonnier d'un étroit défilé.  [...] Ils pénétrèrent dans une gorge froide et sombre. Le chemin était étroit mais bien tracé, taillé par endroits à même la roche. Au fond du ravin, le torrent se déchaînait. À un tournant, le chef s'arrêta et tendit son bras vers les monts [...]
- Alamut! cria le chef en éperonnant son cheval.
Les deux tours disparurent à nouveau derrière le versant abrupt. Le chemin continuait sa course sinueuse le long du torrent, jusqu'à un brusque évasement du défilé. Le petit-fils de Tahir écarquilla les yeux. Devant lui, un puissant éperon couronné de fortifications partiellement encastrées dans la roche se dressait vers le ciel. L
e Chah Rud à cet endroit se divisait en deux bras qui enserraient le roc nu comme une fourche. Isolé de la sorte, le domaine que commandait la forteresse s'élevait par paliers à flanc d'abîme, ses quatre angles flanqués de tours dont les deux dernières, tout en haut, surveillaient l'ensemble. La citadelle, étroitement cernée par la rivière qui s'engouffrait entre deux parois à pic parfaitement inaccessible, fermait le défilé comme un verrou."
Vladimir Bartol, Alamut.

 
"Les plus puissantes catapultes ne pourraient effleurer ses murs."

Cette phase finale de l'ascension a visiblement inspiré un dessinateur pour la couvertures de l'édition de poche... à une symétrie près! A-t-il utilisé d'une photo tirée à l'envers, une faute assez fréquente au temps de l'argentique?


"L'armée la plus nombreuse ne saurait y accéder qu'homme après homme."
Une fois cette porte franchie (seuls les montants en pierre sont d'origine, on l'aura deviné!), le visiteur n'a pas fini de monter: c'est (ou plutôt, c'était) un dédale de couloirs et d'escaliers.

" C'était donc Alamut! La plus puissante des cinquante forteresses de la région de Rudbar, bâtie jadis par les rois de Deïlem: on la disait imprenable."

"Mais quelques instants plus tard, Abul Fazel grommelait de nouveau:
- Par la barbe de mon père! Ce maudit escalier n'aura donc pas de fin? Ce renard a-t-il installé son repaire à une telle hauteur pour mieux continuer ses facéties sur notre dos?"

Il est logiquement temps de présenter ce renard, le maître des lieux, du moins à la fondation, car il était mort depuis longtemps à l'époque d'Al-Tusi.  Du reste, tout nouvel arrivant ne le rencontrerait pas avant longtemps; quoique petit fils de martyr -il n'est  guère de plus excellente recommandation- le héros de Bartol, Ibn Tahir, en fait d'emblée l'expérience:

"- Mon père m'a prié de transmettre ses salutations au chef suprême. Quand penses-tu que je pourrai lui être présenté?
Suleïman eut un sourire.
- Ôte-toi cette idée de la tête, mon cher. Il y a déjà un an que je suis ici, et je ne sais toujours pas qui il est. Aucun d'entre nous ne l'a encore vu.
- Il ne vit donc pas au château?
- Si, mais il ne quitte jamais sa  tour. Tu entendras dire encore bien d'autres choses. Et de telles que tu en resteras la bouche ouverte..."

 Il s'appelle Hassan al Sabbah, et a choisi l'endroit pour  regrouper, instruire et entraîner l'élite combattante de la secte chiite des Ismaëliens Nizarites. Ils seront bientôt connus, des habitants de la région comme des Croisés, sous le nom de Secte des Assassins, et les guerriers fanatisés prêts à tuer des personnages importants au mépris de leur vie propre lors d'expéditions suicides, de fedayins. Le mot même d'assassin fut forgé par les Croisés, dérivé de hachischin, allusion à la comsommation supposée de drogue qui les aurait mis en situation de soumission aveugle à leur chef, qu'ils prirent l'habitude de nommer Vieux de la Montagne (ce surnom semble totalement étranger à la population locale). Encore de nos jours, les historiens ont bien du mal à démêler les parts respectives de la réalité et des légendes (qui, finalement  font aussi, par les récits des chevaliers francs revenus de Terre Sainte, partie de l'histoire!) . Voltaire raillait déjà dans son Dictionnaire Philosophique, à l'entrée assassin,:

"On a pendant six cents ans rebattu le conte du Vieux de la Montagne, qui enivrait de voluptés ses jeunes élus dans ses jardins délicieux [...] et les envoyait ensuite assassiner des rois au bout du monde pour mériter le paradis éternel."

Cependant, l'assassinat en 1092, du Grand Vizir, Nizam-el-Molk, par un membre de la secte, est avéré; il eut un grand retentissement, et n'était que le premier d'une importante série. Il est non moins certain que lors des croisades, Saint-Louis (Louis IX) avait pris langue avec les Assassins. La haine des infidèles pour les uns n'ayant d'égale que celles des sunnites pour les autres, l'excellent principe : "les ennemis de mes ennemis ne sont peut-être pas tout à fait mes amis,  mais  pourquoi ne seraient-ils pas mes alliés?" ne demandait qu'à s'appliquer.
Impressionnés par les lieux, et peut-être par des mises en scène de l'habile Hassan, les ambassadeurs auront pu être les premiers à exagérer ce qu'ils avaient vu. Si Guillaume de Rubrouck, ambassadeur de Saint-Louis en Mongolie, se contente de mentionner fugitivement, dans son récit, la "Montagne des Assassins" qui borde la Mer Caspienne, Henri Ier de  Champagne  rapporte des scènes d'obeissance aveugle...


Nicolas-Guy Brenet (1728-1792)
Louis IX recevant les ambassadeurs du  Vieux de la Montagne
Musée Carnavalet (Paris)
Une démonstration de Hassan, selon l'ambassadeur croisé Henri Ier de  Champagne  :
 sur ordre du chef ,un fedayin de jette du haut d'une tour d'Alamut, tandis qu'un autre se poignarde au cœur.

Marco Polo, qui n'a que 2 ans à la destruction d'Alamut, met sous sa plume propre les narrations des croisés dans son célèbre récit de voyage. Lequel a tant de succès que tous ceux qui suivront reprendront pour haschisch comptant le thème des fedayins abusés par deux paradis artificiels, celui de la drogue et celui des jardins peuplés de magnifiques jeunes filles, les houris, qui les initient aux plaisirs du sexe. Bartol, s'il semble cuisiner à partir de ce fond de sauce, a un tout autre dessein, la dénonciation par une parabole du fanatisme engendré par les dictatures nazies et fascistes: il écrit en 1938. Quant à Maalouf,  il prend avec malice le contrepied de la légende du haschisch... pour arriver à la même condamnation du fanatisme.


D'un certain fameux tyran et de ses affaires.

"Il y a par là un. certain canton nommé Mulète (=Alamut), où commande un très méchant prince,- appelé le Vieux des Montagnards, ou Vieux de la Montagne, dont j'appris beaucoup de choses, que je vais rapporter [...]
Ce vieillard
[...] entretenait hors de ce lieu des jeunes hommes courageux jusqu'à la témérité, et qui étaient les exécuteurs de ses détestables résolutions. Il les faisait élever dans la loi meurtrière de Mahomet, laquelle promet à ses sectateurs des voluptés sensuelles après la mort. Et afin de les rendre encore plus attachés et plus propres à affronter la mort, il faisait donner à quelques uns un certain breuvage, qui les rendait comme enragés et les assoupissait. [...]
Alors le tyran, qui leur faisait croire qu'i1était prophète de Dieu, les voyant en l'état qu'il souhaitait, leur disait « Écoutez moi,ne vous affligez point; si vous êtes prêts à vous exposer à la mort, au courage, dans toutes les occasions que je vous ordonnerai, je vous promets que vous jouirez des plaisirs dont vous avez goûté. » En sorte que ces misérables, envisageant la mort comme un bien, étaient prêts «à tout entreprendre, dans l'espérance de jouir de cette vie bienheureuse."
Marco Polo, Livre des Merveilles
"Ils débouchèrent sur une terrasse - ni l'un, ni l'autre, à ce jour, n'avaient encore été admis à découvrir ce lieu. C'était un véritable observatoire. [...] (**)
 Contre celui-ci, on avait aménagé une sorte de serre, dont le toit vitré était à présent relevé. Il n'y poussait rien d'autre qu'une sorte d'herbe à longue tige, dont les pousses ressemblaient à s'y méprendre à de petits balais renversés. [...]
Hassan planta dans ses yeux un regard pénétrant.
- Voici la clef donnant accès aux richesses du paradis! articula-t-il avec patience.
- Cette mauvaise herbe?
[...]
- L'herbe que je vous ai montré n'est
autre que du chanvre indien; sachez que son suc recèle des propriétés exceptionnelles. Je vais maintenant vous décrire de quelle nature sont ces propriétés. À Kaboul, il y a de cela longtemps, j'ai été un jour, moi parmi d'autres, l'hôte d'un riche prince natif de l'Inde.[...]
Supposons que vous ayez
été à Kaboul avec moi chez ce prince, leur dit-il. Vous avez avalé vous aussi cette pastille de haschisch et vous avez éprouvé avec moi toutes ces magnificences dont je vous ai parlé, puis vous avez perdu connaissance. Si vous vous réveillez ensuite, non pas dans la sombre pièce où vous avez dormi, mais dans ces jardins qui sont à vos pieds, au milieu de jeunes filles splendides qui vous servent juste ainsi qu'il est décrit dans le Coran, quelles pensées vous viendront alors à l'esprit?"
"On a souvent dit, au vu de ces scènes irréelles, que les hommes de Hassan étaient drogués. Comment expliquer autrement qu'ils aillent au devant de la mort avec le sourire? On a accrédité la thèse qu'ils agissaient sous l'effet du haschisch.. Marco Polo a popularisé cette idée en Occident [...]. Le mythe des Assassins n'en a été que plus terrifiant.
La vérité est autre.
[...]
Il est vrai que Sabbah était passionné par les plantes, qu'il connaissait à merveille leurs vertus curatives, sédatives ou stimulantes. Lui-même cultivait toutes sortes d'herbes et soignait ses fidèles quand ils étaient malades 
.[...]. On connait ainsi l'une de ses recettes, destinée à activer le cerveau de ses adeptes et à les rendre plus aptes aux études. C'est un mélange de miel, de noix pilées et de coriandre. On le voit, une bien douce médecine. En dépit d'une tradition tenace et séduisante, il faut se rendre à l'évidence: les Assassins n'avaient pas d'autre drogue qu'une foi sans nuances. Constamment raffermie par le plus serré des enseignements, la plus efficace des organisations, la plus stricte répartition des tâches."


 Alâ al Dîn Muhammad droguant ses disciples, illustration du Livre des Merveilles de Marco Polo.
vers1410 (source: BnF,  Wikimedia Commons)

Ceux qui auront eu la patience de suivre jusqu'ici le Mathouriste devraient logiquement se demander ce que, décidément, un homme de Sciences vient faire ici... certains auteurs, comme gênés et lui cherchant une excuse, le dirent prisonnier de la secte. C'est peu probable. Eh oui, le titrre de cet épisode  n'était qu'un simple teasing! Admirateur d'Hitchcock, le Mathouriste  s'est plu à attirer son lecteur sur une fausse piste... pour mieux le détromper.

Alors, quelles raisons pour qu'il vienne de son plein gré?
Pour commencer, il avait été élevé dans une famille fortement chiite (Duodécimain, mais non Ismaélien). Ensuite, il ne faut pas minimiser le sentiment de sécurité quasi-absolue qu'offrait Alamut, qui avait déjoué depuis 130 ans les attaques comme les sièges. Pas plus que la frayeur légitime qu'inspiraient des Mongols qui détruisaient tout sur leur passage, rasant les villages et massacrant les habitants sans distinction pour les femmes, les enfants, les vieillards: quiconque aurait demandé aux habitants qui étaient, dans la région, les tueurs et les terroristes, n'aurait certainement pas eu pour réponse: "les gens d'Alamut"! Al-Tusi avait déjà fui une fois, avec sa famille, de Tus à Nishapur, devant l'avancée de Genghis Khan, alors qu'il n'avait que 13 ans.
Mais aussi, et enfin, Alamut se voulait cité d'une élite... une élite combattante, certes, mais aussi intellectuelle! La citadelle possédait une bibliothèque parmi les mieux fournies du temps. L'endroit pouvait être vu également comme une tour d'ivoire pour étudier les livres, le ciel, traduire les ouvrages anciens, écrire les siens propres, sans être dérangé par la fureur du monde.


terrasses, vue vers l'Est terrasses, vue au centre et à  l'Ouest terrasses, extrémité Ouest

Quant à la localiser avec précision sur le vaste ensemble qui reste au niveau supérieur, c'est évidemment très difficile.... et très hasardeux! Rendons la parole à un Vladimir Bartol apparamment bien averti de la présence de savants, notamment d'astronomes. Il est sans doute excessif de parler, comme il le fait, d'observatoire; mais quelques instruments complétaient la bibliothèque. Voici cet extrait (**) coupé ci-dessus:

"C'était un véritable observatoire. Le sol offrait l'aspect d'un véritable cadran, où se trouvaient dessinés les orbes de la terre et des planètes autour du soleil, la trajectoire de la lune et tous les détails du zodiaque. De petites tables de calcul couvertes de chiffres, elles aussi gravées dans la pierre, laissaient apparaître ici et là des figures géométriques: cercles, ellipses, paraboles et hyperboles. Un peu partout étaient disposés des instruments de mesure et de dessin; il y en avait de toutes les sortes et de toutes les tailles: astrolabes, compas, matériel de relevés trigonométriques, et autres ustensiles plus ou moins mystérieux. Au milieu de la terrasse, une horloge solaire indiquait avec précision les divisions du temps. Un petit hangar avait même été prévu pour abriter tous ces délicats appareils en cas de mauvais temps ."

Bartol se trahit dans sa fiction... car jamais il n'y a eu de système héliocentrique dans le monde de l'astronomie arabe ou persanne. Le modèle restera, en dépit de perfectionnement remarquables, celui de Ptolémée, dans lequel planètes, lune et soleil tournent autour de la terre, fixe au centre du monde.


Al-Tusi au travail... dans sa bibliothèque?
(
du site de philatélie mathématique de Jeff Miller)

Al-Tusi a eu le temps, lors de ce séjour, d'utiliser les instruments présents, peut-être d'en bricoler quelques nouveaux, mais à coup sûr de rêver au futur observatoire dont il aura besoin. Il ne lui manque plus qu'un mécène, et il va le trouver d'une façon aussi inattendue que mystérieuse..
Et c'est sûr, il a écrit ici  ses premiers ouvrages.

En 1253, le petit-fils de Genghis Khan, Hulagu Khan, décide d'en finir avec les forteresses des Ismaëliens. Il réussit à s'emparer de quelques unes, échoue devant Gerdkuh, secourue par les guerriers d'Alamut, et ravage en représailles Tun et Tus, la ville natale ,de notre héros. Il met le siège devant Alamut, et obtient la reddition de ses défenseurs en promettant la vie sauve et un sauf conduit pour son dernier chef et sa famille, peut-être... un peu moins farouchement déterminé que le premier! Sous l'impact psychologique de cette défaite, les autres châteaux Ismaëliens se rendent, sauf  Gerdkuh qui tiendra encore 17 ans.
La forteresse est immédiatement démantelée et rasée, à l'état que l'on peut observer aujourd'hui. En dépit des promesses, de nombreux prisonniers seront massacrés, mais, plus avisés que les Romains avec Archimède, ils laissent la vie à Al-Tusi, que nous retrouverons à l'épisode suivant à Maragheh, au mieux avec Hulagu, et à la tête de l'observatoire de ses rêves... sans qu'on sache très bien  comment il a réussi à le convaincre!

La bibliothèque, elle, aura moins de chance. Déjà partiellement amputée par un autodafé d'ouvrages réputés hérétiques au temps du dernier gouverneur, elle est livrée aux flammes, sauf pour quelques ouvrages  sélectionnés par un conseiller d'Hulagu, Juvayni: il aurait choisi des Corans et quelques ouvrages d'astronomie. Il est parfois avancé qu'Al-Tusi lui-même aurait indiqué des livres d'astronomie à sauver. Voici la version romancée de Maalouf, qui va servir de point d'articulation central à son roman: le précieux manuscrit des Rubayyat d'Omar Khayyam est-il parmi eux? ( D'Omar, de ses poèmes, et de son traité d'algèbre, le  Mathouriste devrait vous reparler bientôt!)

"Après avoir inspecté les lieux avec ses lieutenants, [Hulagu] ordonna aux soldats de tout détruire, de ne plus laisser pierre sur pierre. Sans excepter la bibliothèque. Cependant, avant d'y mettre le feu, il autorisa un historien de trente ans, un certain Juvayni, à s'y rendre. [...] Il put donc entrer dans ce lieu mystérieux où des dizaines de milliers de manuscrits étaient rangés, empilés ou enroulés; au dehors l'attendaient un officier mongol et un soldat muni d'une brouette Ce qu'elle pourrait contenir serait sauvé, le reste serait la proie des flammes. Il n'était pas question de lire les livres, ni même de répertorier les titres.
Sunnite fervent,
Juvayni se dit que son premier devoir était de sauver du feu la Parole de Dieu. Il se mit donc à ramasser à la hâte les exemplaires du Coran, reconnaissables à leur reliure épaisse et regroupés en un même endroit. Il y en avait bien une vingtaine; il les transporta en trois voyages jusqu'à la brouette, qui se trouva quasiment pleine. Et maintenant, que choisir?
[...] il s'arrêta devant un ensemble d'ouvrages consacrés aux sciences occultes et s'y plongea, oubliant l'heure. L'officier mongol qui vint la lui rappeler [...], à la main, portait une torche. Pour bien montrer qu'il était pressé, il approcha le feu d'un tas de rouleaux poussiéreux. L'historien n'insista pas, il prit dans les mains et sous les aisselles tout ce qu'il pouvait emporter, sans chercher à faire le moindre tri, et quand le manuscrit intitulé Secrets éternels des astres et des nombres lui échappa, il ne se baissa pas pour le ramasser.
C'est ainsi que la bibliothèque dess Assassins brûla sept jours et sept nuits, que d'innombrables ouvrages furent perdus, dont il ne reste pas copie. On prétend qu'ils contenaient les secrets les mieux gardés de l'univers.
"

Avant de suivre notre héros à Maragheh, jetons d'en haut un dernier regard vers la vallée, après avoir traversé un tunnel dans la roche qui, lui aussi, a inspiré un dessinateur (italien)






Références de l'épisode:

Aller à l' Épisode II : le Magicien de Maragheh


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